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L’alchimie, voie initiatique






Il s’agit d’un domaine à la fois mystérieux et, par certains aspects, fascinants.


S’agit-il d’un art ou d’une science ? L’alchimie n’est-elle pas tout simplement la chimie des Anciens ? Un savoir en bonne partie oublié, enfoui au cœur de traités obscurs, hermétiques parce que nous en avons perdu la clef, égaré les codes ?


Ou s’agit-il de spéculations occultes, voire mystiques ? Un savoir intentionnellement caché, dont la compréhension n’est réservée qu’à de rares initiés et volontairement dissimulée aux yeux des profanes ?


S’agit-il d’une voie initiatique ? Un chemin qui conduit ses adeptes sur la voie de l’éveil, de l’illumination ? Ou encore, d’une ascèse ayant partie liée avec la psychologie des profondeurs, telle que le psychanalyste Carl Gustav Jung, disciple puis rival de Sigmund Freud, a cru l’entrevoir en se penchant longuement sur les textes et les enluminures alchimiques, souvent somptueuses, parfois surréalistes avant la lettre (elles ont d’ailleurs fasciné André Breton, le « pape » du mouvement surréaliste) ?


Ou bien les alchimistes ne sont-ils jamais que des charlatans, des escrocs habiles en prestidigitation, montreurs de prodiges, manieurs de fioles trompant les foules, grugeant les puissants en leur faisant miroiter la promesse de « faire de l’or » ?


Certains d’entre eux soutiennent qu’ils sont capables de mettre un coup d’arrêt au vieillissement naturel de l’être humain, et même de lui offrir une forme d’immortalité, grâce à la spagyrie, la découverte de la quintessence (la cinquième essence, le « cinquième élément »), l’élixir de longue vie ou la panacée, capable de guérir tous les maux… L’alchimie serait-elle dès lors une forme de médecine, conduisant à ingérer l’or potable, à s’incorporer la pierre « philosophale » ?


Sans doute y eut-il et y a-t-il de tout cela à la fois, hier comme aujourd’hui. Car il semble que la discipline conserve encore des disciples.


L’histoire d’un mot

Le mot lui-même est à la fois très clair et très obscur. Al, dans « alchimie », comme dans alcool, Alhambra (« la rouge », la forteresse rouge de Grenade) ou… alambic, c’est l’article défini en langue arabe : la, le. Après quoi, ça se complique. Kîmiyâ en arabe, c’est la chimie, mélange d’opérations techniques et de spéculations que les Arabes, à dater du 8e siècle de notre ère, ont emprunté à l’Egypte hellénisée. Et dont les Occidentaux, à dater des 12e et 13e siècles, ont hérité à leur tour. L’alchimie se trouva charriée, en Europe, par le grand mouvement de traduction depuis l’arabe qui avait pris place au Moyen Age central, surtout via l’Espagne islamisée. Le terme grec khumia, désignant

la fusion, serait dérivé du verbe grec khéô signifiant couler, verser.


Mais khemi, en langue copte, c’est aussi la « terre noire ». Une appellation désignant l’Egypte, cette Egypte gouvernée par la dynastie des Ptolémée d’où était originaire la science alchimique. On y relève les premières traces écrites relatives à des pratiques alchimiques dans les années 300 de notre ère.


L’historien des sciences Robert Halleux conclut à ce sujet : « Les deux hypothèses sont compatibles quand on connaît le goût des alchimistes pour la spéculation étymologique. » Le terme d’origine grecque, « désignant les opérations sur les métaux à l’état fondu » a vraisemblablement été mis en relation avec le lexique égyptien…


L’alchimie, dans l’Antiquité tardive puis au Moyen Age, est en effet perçue comme née sous le patronage du dieu égyptien Thot, l’Hermès des Grecs, le Mercure des Latins. Divinité volatile, protectrice des voleurs, des marchands et des messagers, Hermès/Thot a finalement donné son nom à l’hermétisme. La « terre noire » évoque en outre la première phase du grand oeuvre : l’oeuvre « au noir », la nigredo. Un chemin ardu, obscur, associé au découragement, qui accompagne des manipulations répétées jusqu’à la nausée, ne débouchant sur aucun résultat apparent. Jusqu’au millième matin…


Une pratique tolérée par les autorités

Des alchimistes, dans le secret de certains monastères comme à l’abri des hauts murs de quelques forteresses, voire au sein d’ateliers urbains, ont exercé leur art dans l’ensemble du continent européen, à dater des 12e et 13e siècles.


Contrairement à une idée reçue, l’alchimie n’est pas, au Moyen Age, une science interdite. Si l’Eglise et les gouvernants se méfient parfois des alchimistes, c’est parce qu’ils sont susceptibles d’imiter les métaux précieux comme de falsifier les monnaies.


C’est pourquoi, à la Renaissance, un théologien comme Martin Delrio, auteur d’influentes enquêtes sur la magie imprimées à Louvain en 1599 et 1600, s’il pourchasse avec zèle toutes les manifestations possibles de sorcellerie, affirme que l’alchimie peut être pratiquée par des hommes riches et puissants, que leur fortune mettrait à l’abri de

toute tentation de falsification.


Il est vrai que Delrio était un familier du prince-évêque de Liège à l’époque, Ernest de Bavière. Cet homme, apparenté aux grandes familles régnantes – le roi de France Henri IV l’appelait « mon cousin » - s’adonnait à des travaux de laboratoire dans l’une des tours du palais des princes-évêques.


Autour d’Ernest de Bavière, on voit se constituer un cercle d’alchimistes paracelsiens, qu’il encourage et protège. Ce qui nous amène à parler de Paracelse, figure incontournable de l’Art Royal d’alchimie.


Un processus d’individuation

« L’alchimiste, déclare Paracelse en 1530 dans son traité Paragranum, c’est le boulanger dans la mesure où il cuit le pain ; le vigneron dans la mesure où il fait le vin ; le tisserand dans la mesure où il confectionne la toile. Est alchimiste, par conséquent, celui qui conduit au terme voulu par la nature ce que celle-ci produit dans l’intérêt des hommes. »


Autrement dit, en s’associant au travail de la nature, l’alchimiste n’effectue rien de moins que le travail de Dieu : la création, aux yeux de Paracelse, n’est pas achevée, il revient à l’homme de la perfectionner. Chemin faisant, il se rapproche du créateur.


Pour ce faire, il est nécessaire, pense Paracelse, de récuser la médecine savante, dérivée, le Moyen Age durant, des traités antiques d’Aristote et de Galien, et de renouer, par contre, au moins partiellement, avec Hippocrate. Rappelons que ce dernier énonçait que « notre aliment est notre premier remède ». Or notre estomac, transformant l’aliment, agit de la même façon que l’alchimiste, travaillant à séparer le pur de l’impur, à éliminer les scories en vue de purifier les métaux.


Ainsi, Paracelse pratique-t-il une lecture très personnelle de l’idée chrétienne de « résurrection », susceptible selon lui de s’accomplir, non au Jour du jugement dernier, mais dès à présent, ici et maintenant, par la transformation-guérison en corps glorieux. L’un des disciples de Paracelse, le Malinois Gérard Dorn (né vers 1530, mort vers 1584), va déduire de la doctrine de son maître une « alchimie spirituelle ». Et Jung, découvrant au 20e siècle l’oeuvre de Dorn, va à son tour s’en inspirer, voyant dans l’alchimie une pratique permettant d’assurer le « processus d’individuation ». Il dira : « La voie de l’individuation signifie : tendre à devenir un être réellement individuel et dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s’agit de la réalisation de son Soi dans ce qu’il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison. On pourrait donc traduire le mot d’ ‘’individuation’’ par ‘’réalisation de soi-même’’, ‘’réalisation de son Soi’’ ».





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