Pour le milieu académique, le corps serait la chose dont nous serions les plus surs. Il se révèle être ce qui nous glisse le plus entre les doigts. S’intéresser à lui nous emmène vers des horizons forts surprenants.
Nous avons tendance, en occident, à avoir une vision biologique du corps. C’est en tout cas cette vision qui est portée par le milieu académique et ce milieu conditionne la science, la médecine et la pédagogie. Le corps y est présenté comme étant une machine biologique complexe, mue par des lois de la physique et il ne serait qu’une question de temps avant que la science élucide ce que, du corps, elle n’arrive pas encore à expliquer. Le corps est ainsi réduit à des lois qui sont au final, transcrites dans des équations mathématiques. De plus, il ne serait plus nécessaire de revenir sur le sujet. Le corps serait une sorte de dossier classé, résolu. En effet, la notion de « corps » est généralement mobilisée sans être réellement questionnée. Nous entendons parler du corps comme s’il allait de soi, comme s’il était un territoire connu et balisé. Or, à bien y regarder, le « corps » désigne un mystère que nous sommes encore loin d’avoir cerné. Soulevant des questions vertigineuses sur la nature de la réalité, il semble même nous mener vers la nécessité de réenchanter le monde.
Des corps plutôt qu’un seul
Soulignons déjà que le mot « corps » s’écrit au pluriel. Il s’écrit avec un « s » à la fin. En effet, étymologiquement, corps vient de « corpus ». Un corpus, c’est un ensemble de différents supports qui sont rassemblés parce qu’ils traitent d’un même thème. Un corpus de savoir est, par exemple, un ensemble de livres, de documents, de films ou autres supports qui sont différents dans leur nature, mais qui sont rassemblés parce qu’ils contiennent des informations sur un même sujet. Il semblerait que le corps doive davantage être envisagé comme un ensemble de différents supports ou plutôt, de différentes façon d’être au monde, rassemblées autour de ce qui semble être un sujet.
Et cette idée d’un corps pluriel est largement rapportée dans l’histoire de l’humanité. Un survol historique nous fait rapidement comprendre que dans leur grande majorité, les cultures du monde nous parlent d’une pluralité de corps. En fait, elles nous parlent d’une pluralité de corps-esprit car elles ne scindent pas le corps et l’âme de la manière dont nous l’avons fait en occident. Ainsi, ces cultures envisagent non seulement que l’être humain est multiple dans sa manifestation corps-esprit, mais que celle-ci ne cesse de fluctuer tout au long de son existence. La complexité fluctuante de l’être humain ne cesserait donc de manifester une multitude de corps-esprit tout au long de la vie et souvent, par-delà la mort.
Chez le peuple Kanak par exemple, l’homme reste encore une portion non détachée de l’univers vivant qui le baigne. Son existence est intimement liée à un monde qui ne cesse de varier. Du coup, puisque l’être humain passe par différents états, son corps n’est jamais donné une bonne fois pour toute. Il n’est ni objet, ni séparation, ni support d’une individualité. Pour l’hindouisme et le bouddhisme, l’humain serait composé de différents corps. Ces traditions conçoivent notamment des corps physiques, énergétiques et causaux, qui évoluent différemment au fil du cycle des renaissances puisque certains de ces corps survivent à la mort. L’être humain est donc ici bel et bien conçu comme un agglomérat de différentes façons d’être au monde, comme un corpus de manifestations plus ou moins denses ou subtils, dont le nombre et la dénomination varient d’une tradition à l’autre. Plus encore, ces traditions indiquent que le méditant pourrait au cours de son existence, faire l’expérience d’une dissolution de sa densité pour devenir pur espace. « Les Tibétains parlent d’un corps arc-en-ciel parce que, à ce niveau-là, le corps n’est plus qu’ondes lumineuses qui irradient dans le tout (1) », confirme le Pr Natalie Depraz, philosophe spécialiste du corps.
Une chosification occidentale
« Ce que vous nous avez apporté, c’est le corps (2)», indique un sage kanak à l’ethnologue Maurice Leenhardt. C’est en effet l’Occident qui pousse l’idée que nous n’avons qu’un corps et qu’un seul, à son paroxysme. Cette idée est ainsi très tardive et plutôt atypique au vu de l’histoire de l’humanité. Bien qu’elle soit le fruit d’un long processus, elle n’est entérinée qu’au XVIIIe, lorsque le milieu académique adopte une posture matérialiste qui réduit toutes les dimensions de l’être humain à un corps physique. La première des grandes étapes qui nous ont menées là est l’affirmation d’une séparation entre le corps et l’âme, opérée par les cultures grecques puis chrétiennes. C’est à dire que si l’homme reste composé d’un corps et d’une âme, l’accent est mis sur la supériorité de l’âme qui quitte le corps à la mort ou qui a la charge d’élever le corps vers Dieu. Peu d’attention est dès lors, accordée au corps.
La deuxième grande étape consiste à chosifier le corps. Elle débute au XVe siècle, quand les savants de la Renaissance s’attellent à étudier la réalité de manière plus scientifique et que le mouvement humaniste met l’être humain sur le devant de la scène. L’homme est toujours défini par son âme, mais son corps devient plus matériel et plus individualisé.
Et alors que les universités enseignaient jusqu’au XVIIe siècle, que l’univers était un organisme vivant, les savants commencent à cette période à affirmer qu’en fait, Dieu a créé un monde-machine qui, une fois lancé, tournerait tout seul. « Mon but est de montrer que la machinerie céleste doit être comparée non pas à un organisme divin, mais à une horloge (3) », affirme Johannes Kepler. L’univers, et ainsi le corps humain, deviennent des horloges dont la matière est inerte et dont les rouages mécaniques obéissent à des lois physiques et mathématiques.
La troisième étape se produit lorsque les penseurs du XVIIIe siècle se débarrassent, purement et simplement, de Dieu. Les philosophes des Lumières se détournent de la théologie et ne gardent que le monde matériel. Ils évacuent toutes les dimensions qui étaient rattachées à Dieu ou à l’âme. L’ère contemporaine réduit ainsi l’être humain à un corps matériel. Il n’a plus d’âme. Il n’est qu’un corps mécanique, constitué d’une matière passive, qui se retrouve à charge de produire la conscience. Le sociologue Max Weber souligne combien en deux millénaires, l’occident a désenchanté le monde.
Un bug culturel
S’intéresser à la question du corps nous amène ainsi à voir que notre culture contemporaine est traversée de part en part par un bug culturel majeur. L’occident a scindé le corps et l’âme. En faisant cela, il a fini par créer un corps matériel et mécanique. Et lorsqu’au XVIIIe siècle, le milieu académique se débarrasse de l’âme... il ne reste que ce corps physique et inerte. L’être humain est donc réduit à ce corps matériel. Or, force est de constater que nous sommes des êtres sensibles et conscients. Le problème est de comprendre, comment un corps inerte et mécanique peut-il produire la sensibilité et la conscience ? Selon la biologie conventionnelle, les lois de la physique suffiraient à expliquer l’émergence de la vie sensible et consciente.
Cependant, depuis plus de deux siècles, une quantité surprenante de scientifiques indique que cela ne tient pas. Surtout, la philosophie le démontre amplement. Les débats sur le problème corps-esprit, la difficulté à expliquer l’apparition de la vie, le problème difficile de la conscience, mettent largement en évidence le fait que nous avons un problème. Le bug, c'est qu'une matière, tant qu’elle est conçue comme étant inerte et mécanique, ne peut générer de la sensibilité. Le corps, tant qu’il est conçu comme étant une machine biologique, ne peut produire la conscience. Le philosophe Michel Bitbol (4), spécialiste de la question corps-esprit, parle d’un gouffre explicatif. Pour lui évoquer une « explication neurobiologique de la conscience » serait même un oxymore. La conscience doit être donnée comme un fait premier et il nous faut dépasser notre vision classique de la matière de l'esprit.
Et d’ailleurs, dès le XVIIIe siècle, des contrecultures n’ont cessé de s’élever pour contrer la posture matérialiste et tenter de résoudre le bug abyssal. Le mouvement romantique, le vitalisme, la biologie organiciste, les visions holistiques, systémiques et complexes, les théories quantiques et du chaos, etc. viennent tous, en un point ou un autre, questionner la vision physicaliste du corps. Toutefois, la véritable révolution, se fait sur un autre front. En effet, à partir du siècle des Lumières, de nombreux chercheurs se passionnent pour l’étude... du corps sensible.
Puisque l’homme n’a plus d’âme, sa sensibilité doit dorénavant s’enraciner dans son corps. Et cet intérêt pour l’intra-organique n’avait quasiment pas été soutenu en Occident. « La curiosité pour les sensations internes ne s’est quasiment pas développée dans l’univers classique. Elles ne sont l’objet ni d’enquête ni de prospection particulière (5) », signale l’historien Georges Vigarello. Ainsi, apparait un nouveau continent à explorer : la sensibilité corporelle. Cette exploration fait alors émerger la nécessité de nommer une nouvelle profondeur humaine, qu’on finit par appeler la psyché. Ce qui est donc peu connu du grand public c’est que c’est de l’étude du corps sensible, par certains pionniers que naissent la psychologie, la psychiatrie, la phénoménologie, etc., au XIXe siècle. Et ce qui caractérise ce nouveau domaine psychique, dans son sens le plus large, est qu’il cherche à penser non pas un corps matériel, non pas une âme, mais un corps sensible et ainsi, une psyché. Ce domaine cherche à ouvrir une troisième voie, qui dépasse les notions de corps et d’esprit classiques. Un projet caché de l’occident pourrait ainsi être de réenchanter la matière, le corps et ainsi, le monde.
« Dans les sciences dites dures, on constate qu’une même orientation se dessine : qu’ils soient physiciens, astrophysiciens, immunologues, biologistes, neurobiologistes ou même mathématiciens, c’est un nombre impressionnant de savant éminents et reconnus qui se sont mis en tête de réunifier le spirituel et le matériel, le corporel et le mental. Selon eux, l’homme doit retrouver son unité, se réconcilier en quelque sorte avec sa matière première et ne faire plus qu’un avec elle (6) », Pascal-Henri Keller, psychologue.
Des performances hors-normes
Le Padre Pio est un saint italien du XXe siècle qui a produit à lui seul une quantité surprenante de prodiges. Connu comme une légende de son vivant, le Padre Pio a même fait l’objet d’articles de presse à l’international. Que se produisait-il ? Le Padre Pio, non sans être inquiété par les mesures prises contre lui par le Vatican, a fait preuve de jeun prolongé et d’absence de sommeil selon les périodes. Faisant de l’hyperthermie, il faisait exploser les thermomètres. Un thermomètre de bain a finalement permis d’attester que sa température corporelle était de 48,5 °C. Or, la limite enregistrée au cours d’une agonie est de 44 °C. Le Padre Pio a également porté cinq stigmates pendant plus de cinquante ans sur ses mains, ses pieds et le flanc gauche.
Des parfums étranges émanaient de lui et il faisait l’objet de phénomènes lumineux. « Le Dr Romanelli a été stupéfait de constater que le stigmate du coeur émettait des radiations lumineuses (7) », rapporte l’ expert. Le Padre Pio aurait également produit des phénomènes de lévitation et de bilocalisation – phénomènes qui, contre toute attente, sont amplement rapportés dans la littérature mystique. Plus encore, le Padre Pio aurait été perçu à plusieurs reprises à distance de là où il se trouvait. « Nous possédons des témoignages difficilement récusables à ce propos. Le témoignage le plus souvent cité est celui du cardinal Barbieri, archevêque de Montevideo (8) », informe Boniface. Le Padre Pio semblait également être voyant et avoir des capacités de guérison. « Les malades, incurables ou non, qu’il a guéri ne se comptent pas (9) », indique l’expert.
Si l’exemple du Padre Pio est exceptionnel, les recherchent montrent qu’au sein de la population, des phénomènes moindres, mais pour autant étonnants, se produisent régulièrement. Le Remission Project de l’IONS propose par exemple, une banque de données de plus de trois mille cinq cents cas guérisons inexpliquées depuis la fi n du XIXe siècle. Ces cas concernent des personnes ayant eu des cancers, des maladies cardio- vasculaires graves, des maladies autoimmunes avancées, le VIH, etc. Par ailleurs une quantité faramineuse de cas de survie en conditions extrêmes, d’incombustibilité des corps, de stigmates, d’élongations, de luminescence, d’émanation de parfums, d’hyperagilité, de lévitation, d’incorruption des cadavres, etc., ont été rapportées dans toutes les cultures et de tous les temps. Ils ont été attestés par des papes et de hauts membres du clergé, des membres de l’Inquisition qui cherchaient à les réfuter, des rois et des ambassadeurs, des ministres et des notables, des scientifi ques ou des médecins membres d’académies prestigieuses, des prix Nobel, des foules de personnes ayant vu les mêmes choses, des personnes ayant vu ces phénomènes se répéter sur plusieurs décennies, etc.
Certains cas ont également été objectivés par des méthodes scientifiques.
Lorsque nous comprenons que le corps n’est pas qu’une machine biologique, mais que l’être humain est davantage un corpus de différentes façons d’être au monde. Lorsque nous voyons que ces façons d’être au monde relèvent d’un troisième domaine d’être qui transcende notre vision classique de corps et de l’esprit, nous comprenons mieux les phénomènes hors-normes produits par le corps. Ce qui est sûr c’est que cette accumulation de faits nous invite, là encore, à révolutionner notre vision du corps. « Ils nous confrontent à une hyper complexité de la matière psychique (10) », conclu le Pr Thomas Rabeyron, psychologue.
Références:
(1)- « Les traditions ancestrales nous invitent à changer notre vision du corps », Entretien du Pr Natalie Depraz
par Miriam Gablier pour la revue Natives n° 6, automne 2021.
(2) - Maurice Leenhardt, Do Kamo, La personne et le mythe dans le monde méla- nésien, Gallimard, 1985, p. 263.
(3) - Johannes Kepler, « Lettre à Herwart von Hohenburg », 10 février 1605.
(4) - Michel Bitbol, La Conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une nouvelle approche de l’esprit, Éditions Flammarion, 2014
(5) - Georges Vigarello, Histoire du corps, tome 1 : De la Renaissance aux Lumières,
(6) - Pascal-Henri Keller, Dialogue du corps et de l’esprit
(7) - Ennemond Boniface, « Chapitre 9 : Les prodiges du Padre Pio », Les corps à prodiges, Tchou, 1977
(8) - Ennemond Boniface, « Chapitre 9 : Les prodiges du Padre Pio », Les corps à prodiges, Tchou, 1977
(9) - Ennemond Boniface, « Chapitre 9 : Les prodiges du Padre Pio », Les corps à prodiges, Tchou, 1977
(10) - Thomas Rabeyron, Clinique des expériences exceptionnelles
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