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"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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Heidi et le jardin secret



Je hante les boîtes à livres. Dans nos villes, dans nos villages, on y déniche parfois des trésors abandonnés. Il y a peu, j’y ai trouvé une édition ancienne de Heidi, et la curiosité m’a pris de lire ce roman a priori destiné aux enfants. L’autrice, l’écrivaine suisse Johanna Spyri, a pris soin d’indiquer qu’il s’agissait en réalité d’une « histoire pour les enfants et pour ceux qui les aiment »…



Nous conservons et protégeons toujours, au fond de nous, un enfant. C’est pourquoi ce livre peut nous toucher, même si nous sommes, au moins en apparence, parvenus à l’âge adulte. Heidi, publié initialement en 1880, a constitué un succès immédiat et durable. Si bien qu’il a inspiré, depuis, d’innombrables adaptations au cinéma, à la télévision, en séries animées ou en bandes dessinées, et ce jusqu’au Japon. Les produits dérivés ont, comme souvent, dénaturé, affadi et finalement occulté l’original. Aussi, redécouvrant ce texte, j’ai été plutôt surpris. Heidi n’est pas du tout un conte sucré.



Une histoire dure


Rien de naïf, nulle mièvrerie ici. C’est une histoire âpre, celle d’une enfant dont les parents ont disparu dans des circonstances qui ne sont pas éclaircies. Sa jeune tante, qui l’a recueillie bébé, cherche visiblement à s’en débarrasser. Le début du livre montre cette tante conduire la petite fille à travers les sentiers rudes de montagne, où la gamine, emberlificotée dans des vêtements pesants et trop chauds, ne cesse de trébucher. Traînée par des chemins raboteux, l’enfant est confiée sans ménagement, au cœur de l’alpage, à son grand-père, dont on se demande ce qu’il pourrait bien en faire.


C’est un personnage rugueux, inquiétant, un rustre que les gens du coin surnomment « le vieux de l’alpe », qui vit en solitaire dans un chalet de bois plutôt misérable. Or, au contact de sa petite-fille, le cœur de cet ours va peu à peu s’ouvrir.



Un contraste pénible


La carapace que s’est forgée le vieux provient à l’évidence des épreuves qu’il a endurées. Cependant, la présence de la petite va agir sur lui, au fil des saisons qui s’écoulent dans l’alpage, comme un baume bienfaisant… Seulement, Heidi est ensuite enlevée au vieil homme, sa tante ayant résolu de la placer dans une famille aisée à Francfort. Là, Heidi devrait pouvoir se « faire une place » dans la société bourgeoise et bénéficier, pour commencer, d’un vernis d’éducation… Car, dans la montagne, elle n’a connu jusqu’ici que la compagnie du vieux, de ses chèvres et d’un jeune chevrier farouche. La beauté des paysages et les leçons de vie désabusées du vieux ont constitué sa seule école.


A Francfort, dans la grande ville aux froides constructions de pierre, le contraste est fort. Néanmoins, une nouvelle fois, Heidi va apprivoiser, adoucir son entourage. Elle sert de demoiselle de compagnie à la jeune fille de la maison, paralytique, dont la mère est morte et le père absent. La jeune fille riche, rapidement, ne peut plus se passer de sa nouvelle amie, dont la fraîcheur campagnarde détonne au milieu des domestiques revêches.



Une grand-mère philosophe et une sorte de miracle

A la présence du vieux dans la montagne répond, en ville, celle, intermittente, de la grand-mère de la jeune bourgeoise.


Celle-ci prend progressivement Heidi en affection. Elle lui apprend à lire, à écrire, et lui apprend que « Dieu », s’il ne nous secourt pas dans l’immédiat, nous réserve peut-être du bonheur plus tard… Un enseignement mis à profit par Heidi, qui prend son mal en patience. Elle finira par retrouver sa chère montagne. Retournant sur l’alpe, elle y recevra même la visite de la grand-mère venue de Francfort, puis, surtout, celle de son amie citadine.


Celle-ci, tout au plaisir de ses retrouvailles avec Heidi, découvrant l’univers magique de la montagne, va doucement reprendre des forces. Elle se rétablit si bien que, la bienveillance du vieux et l’amitié de Heidi aidant, elle parviendra à se lever, à marcher petit à petit sans aide.


Ce récit, on l’aura compris, est un récit d’initiation. Un roman de formation et de guérison, où la joie de vivre propre à Heidi apparaît littéralement communicative. « Le monde te prend tel que tu te donnes », affirme à la même époque Nietzsche, autre amateur de sommets. La petite fille est une source d’éveil pour ceux et celles qui l’entourent. La nature naturante, le cycle des saisons qui reviennent dans l’alpage répondent en écho à la viriditas d’Heidi, pour reprendre le terme créé par Hildegarde de Bingen au 12e siècle : germination, reverdie qu’incarne en toute simplicité la petite fille.



Spiritualité et affections de l’âme


Il y a une forme de spiritualité manifeste dans le roman de Johanna Spyri. Si elle se présente, selon les règles de l’époque, comme explicitement chrétienne – l’enseignement de Dieu et de la prière, délivré par la grand-mère à Francfort -, cette spiritualité est, je pense, implicitement païenne. La sagesse qu’enseignent la montagne et le vieux de l’alpe est en effet celle, immémoriale, de la nature et du cycle éternel des morts et renaissances qui s’y donnent à contempler et à vivre. De façon troublante, lisant Heidi, je me suis rappelé un autre livre célèbre, destiné lui aussi en priorité aux enfants, mais également accessible aux adultes. Il s’agit du Jardin secret de la romancière anglaise Frances Hodgson Burnett, paru initialement en 1911. Je l’ai découvert il y a quelques années, et il m’a aidé à franchir un passage à vide. Les images mentales qu’il recèle m’ont beaucoup aidé à traverser le désert où j’errais alors… Burnett, qui est aussi l’autrice du Petit Lord Fauntleroy, met en scène une petite fille, Mary Lennox, qui, ayant perdu ses parents, est confinée chez un curieux oncle au fin fond de la lande anglaise.


Elle découvre, dans la propriété du vieil homme, une clef qui donne accès à un jardin caché. Mary se réfugie chaque jour dans ce royaume enchanté, où elle finit par rencontrer un étrange petit garçon qui communique avec les animaux. Les deux enfants se lient d’amitié et, au fil des jours, ils vont redonner vie au jardin abandonné. Tandis que fleurs et fruits repoussent dans le verger déserté, le cousin de Mary, alité depuis l’enfance, paralysé comme l’était l’amie francfortoise d’Heidi, va progressivement s’aventurer au dehors et retrouver l’usage de ses jambes. La guérison de l’enfant accompagne ici la transformation de l’héroïne elle-même, petite fille d’abord déplaisante et arrogante – sorte d’anti-Heidi -, qui, au contact de Dickon, l’enfant qui parle aux animaux, se métamorphose peu à peu, ouvre son coeur et son âme.


Dans le cas de Heidi comme ici, il semble bien que la « maladie » qui immobilise relève d’une affection psychologique. Il s’agissait, à l’époque où les deux romans ont été publiés, d’une découverte nouvelle, encore très peu admise. Les Anciens comme les médiévaux, pourtant, savaient bien que le mal est une affection qui n’est pas strictement matérielle. Ces deux livres, à l’heure où nous allons fêter la fin d’une année difficile, peuvent nous redonner confiance en la vie.













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