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"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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S’ abandonner, une invitation des voies non-duelles


“Moi” d’un côté, “le monde” de l’autre : une dichotomie fondamentale dans notre expérience de l’existence… mais génératrice de beaucoup de souffrance. Et s’il était temps de l’abandonner ? 


C’était un matin de printemps. J’avais rejoint un ami dans le Luberon pour quelques jours de marche sur le sentier des Huguenots. Intuitivement, je savais que c’était ce dont j’avais besoin : mettre mon agenda entre parenthèses, troquer téléphone contre baskets, ordinateur contre gourde d’eau, puis me mettre en chemin. Nos vies sociales, dans leur rythme, leurs normes et leur récurrence, émoussent nos visions. S’en extraire permet de retrouver une fraîcheur de perception.


Dès les premiers pas, la magie avait opéré : éprouver le corps, écouter le chant des oiseaux, sentir la terre sous les pieds, retrouver le parfum d’un brin sauvage de romarin… Et rester là, simplement, dans la qualité des perceptions et du moment.


Puis est venue la montée vers la crête. Sept cents mètres de dénivelé positif ! Le diablotin du mental en avait profité pour s’affoler : “May Day, May Day, c’est encore loin ? Je ne vais pas y arriver, ma hanche me fait mal et mon genou va lâcher !” Ma caboche s’était aussi engouffrée dans ce qui était peut-être son sport préféré : comparer. D’un côté :  moi, petite chose qui se demande toujours si ce qu’elle faisait était à la hauteur ; de l’autre : le reste du monde, référent extérieur et jugeant.


Heureusement, j’avais une alliée : la conscience que ce bavardage intérieur n’était tissé que de réflexes mentaux conditionnés...


Paysage extérieur, paysage intérieur En haut de la crète, m’attendaient la satisfaction de l’objectif atteint et un parterre d’iris. De petits iris sauvages adorables, armée de chevaliers violets sur un sol de garrigue, défenseurs du surgissement soudain de la beauté.


Alors, j’ai réalisé que tout, absolument tout, n’était que paysage. Paysage intérieur, composé de pensées qui vont et viennent, surgissent et disparaissent, tantôt flatteuses, tantôt moins - et peu importe. Paysage extérieur, semé de dénivelés douloureux et de fleurs gracieuses, les unes succédant aux autres, dans un mouvement qu’il ne m’était pas donné de contrôler.


Et un voile est tombé, un mur intérieur s’est effondré : je ne regardais pas la fleur, j’étais la fleur. J’étais tout autant ce paysage de crète que les commentaires qu’il faisait naître et la conscience qui en faisait l’expérience. J’étais ce qui percevait, autant que ce qui était perçu - sans distance entre l’un et l’autre.


L’émotion était forte : enfin, je rentrais à la maison. Enfin, tombaient les frontières illusoires d’un “moi” indépendant du monde qui m’entourait. Et Dieu sait que le sac à dos d’une identité qu’il faut circonscrire, définir, défendre ou améliorer est lourd à porter ! Enfin, je pouvais n’être rien d’autre que l’instant, rien d’autre que la perception du moment, rien d’autre que ce paysage de fleurs, de ressentis et de pensées qui s’embrassait tout entier.


Le goût de l’exploration Dans les années 1970, une équipe de scientifiques investie dans des recherches sur


la conscience a étudié pendant dix ans un groupe de personnes engagées dans différentes formes de pratiques ou de thérapies, afin de voir comment une méthode ou une autre pouvait les aider dans leur vie quotidienne. Unanimement, ils sont arrivés à la même conclusion : quelle que soit la voie pratiquée, elle n’était bénéfique que si la personne parvenait à être présente à ce qu’il se passait, dans l’instant, en elle et autour d’elle.


Depuis l’enfance, j’aime découvrir, observer, ressentir. J’en ai fait un métier, un rapport au monde. J’exerce la profession de reporter. C’est un drôle de métier, porté par l’élan d’aller à la rencontre d’un être ou d’une situation. Un métier mu par la curiosité et le goût de l’exploration. Au fil des années, il est même devenu un indice : et s’il y avait une vérité dans la nécessité de s’ouvrir à ce qui est là, aussi étranger que cela nous soit, et de se laisser traverser par un vécu, une vision ou une histoire ?


Quand je suis sur le terrain, je regarde, j’écoute, je perçois ce qu’il se passe autour de moi, autant que ce que cela crée en moi. Une émotion, une pensée, un enthousiasme, une interrogation... Une fatigue, aussi, parfois : “Mais qu’est-ce que je fous là ?” Keep cool, si tu es arrivée là, c’est que le contexte s’y prêtait ! Tu es là parce que tu es là. Alors restes-y. Au fil des années, j’ai même appris à l’identifier : je sais que je suis au bon endroit et que la transmission que j’en ferai sera juste, quand surgit l’évidence qu’il n’y a plus moi qui écoute et quelqu’un qui me parle, mais juste “cela”, le moment que nous partageons, la scène que nous formons, ensemble. Cet espace-là, cette communion-là.


Une histoire qui se conte “Je suis et en mon sein, une histoire est contée”, écrivait Stephen Jourdain. Lorsque je suis en reportage, en pleine attention de ce qui est en train de se vivre, mon individualité se dissout - et c’est une bonne nouvelle. Je m’oublie, je me fonds, je me décentre, je deviens la scène qui se déroule sous mes sens. Dans cet exercice, il n’y a  aucun bénéfice personnel que celui de goûter le monde et de le capter au plus juste, pour être à même de le transmettre. Rester impersonnelle. Ou alors assumer ma subjectivité : ce que je décris n’est que ma vision, et elle vaut pour ce qu’elle est. N’être rien d’autre que cette capacité à l’expérience, cet espace perceptif où l’histoire se déroule.


Posez-vous dans l’instant. Comment décririez-vous le plus sincèrement, directement et simplement possible, ce que vivez ? Là, maintenant, des éléments peuplent un champ de conscience : il y a un magazine ouvert, peut-être des mains qui le tiennent, un bout de fauteuil, une table, des bruits. Et puis des pensées, qui surgissent et s’évanouissent… La palette de ce qui est perçu, au moment présent. Si vous êtes vraiment attentif, votre monde se réduit à cette scène ; le reste n’est que concept, mémoire ou imaginaire. A cet instant, la seule chose dont vous pouvez faire l’expérience, c’est ce qui est, ici et maintenant. Ni le passé, ni le futur, ni l’ailleurs n’ont d’existence. Vous pouvez les convoquer en pensée, mais cela restera une pensée, c’est-à-dire un objet apparu à cet instant dans votre champ de conscience. Vous n’êtes pas autre chose que ce champ perceptif. Ça surgit, c’est là, ça s’en va. Au fond, la présence est une absence.


“La prochaine fois que vous entrez dans un lieu rempli de monde, qu’il s’agisse d’un bus, d’un bureau, d’un supermarché, d’une soirée ou d’une salle de concert, restez un bref moment à l’entrée ou au centre de la pièce, propose Swami Janakananda, fondateur de l’École scandinave de yoga et de méditation. Restez immobile et embrassez la situation dans son ensemble, ainsi que vous au milieu d’elle. Ouvrez vos perceptions jusqu’à percevoir la scène dans sa globalité, ainsi que tous les détails qui pourront en jaillir. Ressentez l’état dans lequel cette observation vous met - et comparez-le aux fois où vous êtes entré au même endroit sans y prendre garde - ou en limitant votre attention à une seule chose ou à une seule personne. Si vous ressentez votre environnement comme

un poids, ou si vous vous sentez introverti, emprisonné dans vos pensées ou vos émotions, cet exercice pourra vous alléger.”


L’homme ne s’élève pas, il s’effondre Faire fondre la barrière illusoire entre soi et le monde est une libération. Longtemps, j’ai voulu changer la société, combattre les injustices, me changer, changer les autres. Ou rester protégée du danger qu’ils pouvaient représenter par la carapace que je m’étais construite. Surtout, ne pas me laisser atteindre. Résister. Tenir. Rester droite. Rester digne. Serrer les dents. Avancer. Progresser. Y arriver. Et parfois, j’avais honte : honte de ne pas y arriver, honte d’avoir peur, honte de ma sensibilité, honte de ne pas être comme les autres, de ne pas être parfaite, de ne pas être à la hauteur.


Le jour où j’ai compris qu’il n’y avait rien à atteindre, que le goût de l’exploration valait pour l’exploration elle-même, que mon amour de la découverte d’autres facettes de l’existence ne devait pas avoir pour but l’atteinte d’une forme de vérité ou de meilleure version de moi-même, je me suis fait un magnifique cadeau. La curiosité est un élan qui se passe d’objectif. Pensez aux enfants, à leur manière spontanée et enthousiaste d’aborder la vie : un élan les emporte, ils jouent, ils découvrent, puis ils passent à autre chose. Cela n’a rien à voir avec “eux”. Il n’y a pas de calcul, pas de commentaire mental. L’expérience de l’existence vaut pour ce qu’elle est, sans besoin d’appropriation.


C’est un jour de grande détresse que cette évidence m’a frappée. Pendant des années, consciente que la vie ne pouvait se résumer à un phénomène biologique, je me suis intéressée aux voies spirituelles. J’ai lu, j’ai rencontré de multiples guides, j’ai abordé différentes pratiques. En cours de route, j’ai acquis des outils, et de nouvelles croyances. Là encore, je me suis dit qu’il fallait que je comprenne, que je maîtrise, que j’y arrive… Mais lorsque la vie m’a envoyé une série d’épreuves, ces compréhensions ne m’ont pas empêché de plonger dans la souffrance. Moi qui pensais m’être  “développée”, avoir atteint une forme de savoir, j’étais aussi en peine que le dernier des péquins ! Quelle prétention… J’ai saisi alors que ces techniques n’avaient fait que déplacer sur un plan “spirituel” mon besoin de contrôle et de sécurité.


C’est un soir au Sacré-Coeur, alors que j’avais été invitée à passer la nuit au sein de la basilique, que j’ai vu à quel point cette quête m’épuisait. Allongée les bras en croix sur le sol de la nef, j’ai décidé d’abandonner. Abandonner, vraiment. “Que ta volonté soit faite...” Ne plus lutter, ne plus résister, ne plus agir dans l’espoir d’un bénéfice personnel. Mettre genou à terre. Étendue là dans le noir, j’ai saisi à quel point il m’était demandé non pas de m’élever, mais de m’effondrer. Non pas de chercher à redonner une contenance et un éclat à mon égo bousculé par la vie, mais au contraire d’en profiter pour lui faire la peau.


La matière sensible du monde Une légèreté en est née. Tant pis, je ne deviendrai jamais une version supérieure de “moi-même” ! Dans la prise de conscience que plus je chercherais à consolider un “moi”, plus le processus serait faussé et la spirale sans fi n, est apparue une immense détente. Beaucoup d’amour aussi : c’est ok, j’accepte d’être exactement comme je suis, au moment présent, et que la vie soit exactement comme elle est. Je n’ai pas les clés : l’existence est faite de circonstances qui sont bien au-delà de ma maîtrise. Tout ce qu’il m’est demandé, peut-être, c’est de prendre soin de ma part de réel, c’est-à-dire de cet espace de perception intime, subjectif, que j’appelle “mon monde”.


La vie se vit, avec ses bonheurs, ses crispations et ses chaos. Pour Jeff Foster, la méditation c’est peut-être ça : être totalement dans le monde, totalement dans l’instant. Pas de recherche, pas de but, pas d’agenda, aucun état spécial à atteindre, aucune expérience particulière à avoir : juste entrer en intimité avec l’ordinarité extraordinaire de ce qui est. Le regard d’un inconnu, une fl eur qui pousse dans le creux du bitume, la folle diversité des formes, des saveurs,


des couleurs, des histoires… “Être cette conscience grande ouverte, absorbée par chaque son, chaque parfum, chaque sensation, embrassant un monde comme une mère embrasse son enfant”, écrit-il. Dans cette absorption, surgit l’évidence que je ne suis pas “quelqu’un” mais simplement “cela”, ce qui se manifeste, à chaque instant, au bon vouloir de la Source que je suis également.


De reportage en reportage, j’ai fi ni par saisir que ce silence au cœur des choses, cette capacité autant pour la joie que pour la peine, pour le divin que pour le sordide, est toujours là, en fi ligrane, au sein de chaque situation. Elle est le tissu du vivant, la matière qui nous constitue tous, la trame qui sous-tend le monde. Il y a quelques mois, j’ai réalisé un documentaire en Inde, dans la ville de Bhopal, victime il y a 40 ans de la plus grosse catastrophe industrielle de l’histoire. 25000 morts, 600000 personnes affectées dans leur chair et leur âme… Et une tragédie qui se poursuit encore aujourd’hui, car la pollution engendrée par l’accident a créé des maladies chroniques, et contaminé le sol et l’eau des populations alentour. Malgré tout, sur ce terrain ravagé par l’arrogance, l’injustice et le mépris, un homme a fondé un dispensaire qui soigne gratuitement les victimes par l’alliance de la médecine moderne, du yoga et de l’ayurvéda. Et ça marche… Comme un lotus éclot dans la boue. Une grâce, au milieu du chaos. Quel regard décidons-nous de poser ? Que décidons-nous de voir ?



Une capacité d’amour Il n’y a pas de frontière à notre humanité ; simplement des peurs, des réfl exes conditionnés. “Depuis l’enfance, depuis la balle au prisonnier, on m’a demandé de choisir un camp : les faibles ou les forts, littéraires ou scientifi ques, vierges ou salopes, Israël ou Palestine, l’Europe oui ou non, homo ou hétéro, de plus en plus vite, de plus en plus souvent, témoigne en octobre 2023 la romancière Maria Pourchet dans un épisode de La grande librairie. Rejeter l’un pour appartenir à l’autre, lâcher le débat pour honorer les divisions. Réac ou éveillé, censeur ou libertaire (...) Moi qui n’ai jamais été pressée d’appartenir, qui n’aime rien tant qu’écouter les autres raconter le flou inté- rieur, regarder la pensée en train de se faire, comme on regarde couler un café filtre, j’ai un peu peur.” Peur d’un monde tailladé de divisions, de positions et d’antagonismes, où “je ne sais pas” ne serait plus une réponse mais “une infamie”.


Je crois en la capacité d’embrasser le monde. Je crois en cette capacité de se sentir un, ensemble, silencieux, immobiles. Pour moi, cette capacité s’appelle l’amour.


Cette saveur intime de faire corps se passe d’agitation, de commentaires et de mots. Elle est là ; que décidons-nous de nourrir ? Comment décidons-nous d’entretenir le lien qui nous relie au monde ?


Cette capacité, tapie sous les péripéties de l’existence et les réactions qu’elles engendrent, certains ne la voient pas ; la séparation se fige et le rejet s’installe. D’autres la perçoivent, et la beauté peut se faire jour. Le tout s’appelle la vie ; le grand jeu de la vie. 




 





1 Comment


Roberto Kja
Roberto Kja
Nov 22, 2024

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