Désormais, tu te laisses conduire par les forces invisibles.
Tu ne résistes plus.
Astrologue de toi, tu plonges dans le sens caché des signes. Oh, les signes, Voie lactée vers les mondes nouveaux.
Tu visitais un marché dans le Sud. Tu ne cherchais rien. Tu n’attendais rien. Tu observais. Ecoutais. Regardais. Humais. Caressais. Vendeurs d’Attrape-Rêves. Marchands de pierres stupéfiantes. Améthyste. Obsidienne. Tourmaline. Lanceurs de musiques, chants, guitares et clavecins. Et puis là, au détour d’une allée, un homme. Torse nu. Les cheveux blonds. Les mains souples et robustes. Assis. De la sueur sur les tempes. Ses ongles forts. Ses yeux concentrés. Dans ses mains, un panier d’osier. En devenir.
Les phalanges de l’homme tenaient, serraient, ajustaient, forçaient, redressaient les rameaux. Le panier tournoyait. Plusieurs tours sur lui-même. Sous des yeux purs. Et retrouvait, sans cesse, une place, contre le ventre, contre le torse, contre la vie du vannier.
Les forces invisibles t’ont mené ici. Tu le sais. Ce vannier te bouleverse. Au milieu des hommes et des femmes, des touristes et des gens de la ville, tu restes immobile. Stoppé net au milieu des robes à fleurs et des shorts légers.
Tu cherches à donner un sens au signe.
Des mots te viennent : « Si tu t’arrêtes ici, en ce coin de marché, c’est qu’il y a des trésors à lire. Sur les mains du vannier. Dans ses gestes. Dans l’osier. Dans les courbes de l’oeuvre. Dans la beauté des entrelacs. Dans la grâce du tressage. Dans la rosace, l’oeil du Maître, l’oeil de Dieu. Dans la force des doigts. Dans la sueur qui perle… »
Tu as du mal à comprendre le chemin de lumière qui relie l’image de cet homme à tes questions essentielles. C’est flou. Occupé, tu l’es. Préoccupé, tu l’es. Nous le sommes tous. Même en vacances. Ce qui te préoccupe, c’est l’Humanité et ses liens.
Lien.
Le mot est venu cogner.
Il s’agit bien de lien.
Il s’agit bien de tressage.
Il s’agit bien d’une oeuvre universelle.
Les hommes et les femmes.
Tresser un village. Tresser une communauté. Tresser des complémentarités. Tresser. Rendre robuste ce qui est souple. Le panier est fort. Lorsqu’il est de bonne facture, l’homme peut s’y tenir debout dit-on. L’osier semble si fragile lorsque ses brins sont isolés. L’osier est si fort lorsque ses brins sont tressés. Ainsi l’humain sans doute.
Te reviennent des images de ta ville. Dans le métro. Les gens égarés dans les galaxies étranges, trous noirs, des téléphones mobiles. Dont tu es. Leurs yeux prisonniers, les hommes et les femmes pianotent, swipent et griffent. Sans cesse. Dont tu es. Et ces couples d’amoureux, parfois, aux terrasses des estaminets, aux tables des restaurants, qui, l’un et l’autre, caressent l’écran divin. Sonneries, bips et bruits coupent, sectionnent, brisent. Le lien s’écroule au sol. La phrase se disloque. Le panier d’osier explose. Les mots et les lettres s’éparpillent en poussières vides. Puisque l’autre pianote, il me reste à pianoter. Alors, je pianote.
L’oeuvre d’art. Vannerie. Eclisses de ronce. Eclisses d’aubier de bourdaine. Tressage en continu. Côtes refendues par quartier. Vannerie sur arceaux. Liane de houblon. Cajole de Comminges. Le vannier est beau, assis, au centre de ses bottes jardinières, au centre du marché, au centre du Monde, au centre de tes yeux.
Bien sûr, cet homme te parle de lien.
Le lien tressé qui crée la force. Le lien, issus des gestes précis. La caresse. Offre-moi une caresse de mère, je te dirai comment tu as été caressé. Offre-moi, une tendresse de mère, je te dirai la tendresse que tu as reçue.
La tendresse, lignes de doigts qui se croisent et s’entrecroisent. La tendresse comme la vannerie. Transmise d’âme en âme. L’homme blond s’affaire. Ses doigts courent, se faufilent, s’insinuent. Ses doigts font l’amour aux brins, aux anses, aux bordures. Ses doigts lissent leur passes pareils aux doigts du pianiste, Chopin, Concerto numéro 1, Olga Scheps, pareils aux doigts de la violoniste, Tchaïkovski, Concerto in D major, Op 35, Julia Fischer.
Le Cosmos, ce matin, est le chef d’orchestre de tous les ors quantiques.
Dès lors qu’une maille du panier s’abime, le panier se troue, le contenant n’assure plus son office. Le fruit s’échappe. La cerise. La mirabelle. La pomme se blesse. Dans l’Humanité, dès lors qu’un trou se forme, l’humain perd de ses chances, de son armature et de ses vigueurs à défier le vent et les lunes et les froids et les coeur de glace.
Tu es debout. Seul. Dans l’allée du marché. Autour de toi un tourbillon de vies et de couleurs. Le vannier observe son oeuvre, vie vibrante au bord de ses mains.
L’Humanité est un panier d’osier.
Le vannier, c’est toi.
La petite voix à l’intérieur de toi déroule ses mots : « Il s’agit d’être vigilant. De ne pas se laisser distraire. Nos liens sont nos trésors. Nous les tissons comme les anciens ont tenté de nous l’apprendre. Au sommet de notre pyramide, notre responsabilité est grande. L’art d’aimer. L’art de la beauté. L’art de l’harmonie. L’art de la vannerie. Nos ancêtres savaient peut-être mieux que nous. Nous avons oublié, beaucoup, déjà. Un mot, une attitude, une opportunité et nous coupons. Nous créons le trou dans le panier merveilleux… »
Un vannier vient te dire : « Observe, autour de toi, les liens. Ceux que tu as tissés. Ceux que tu as coupés. Ceux qui se sont coupés aussi. Travaille, sans relâche, à tresser, tresser encore, le panier millénaire. Crée l’oeuvre d’art. Des gouttes de sueur sur tes tempes… »
Un travail colossal t’attend. Te relier aux êtres que tu aimes. Te relier aux êtres que tu aimes moins. Te relier à l’Invisible. A celles et ceux partis, déjà, qui veillent, certains le disent, sur la sensible évolution de ta trajectoire.
Brin d’osier dans ce marché du Sud, tu es. Lieu de transition.
Voyageur de toi, tu chemines dans l’entre-deux de tes géographies. On raconte que c’est l’instant que choisissent les signes pour venir.
Tresser la vie d’avant et la vie nouvelle.
Un panier d’osier se forme en l’Univers.
Un signe.
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