Marcher dans la lumière rasante de décembre. A quelques encâblures des Fêtes de fin d’Année. Les mains dans les poches. Un gros manteau. Une écharpe de laine. Des bottines. Parfois, on n’aime pas trop les Fêtes de fin d’Année. Parce qu’on est seul. Parce qu’un être nous manque. Parce que l’harmonie de la famille est fragile. Parce qu’un frère va prendre toute la place lors du repas. Parce qu’une sœur va agresser le monde entier, toi, tes parents, tes enfants et même ton chien, surtout ton chien. Parce que des enfants ne veulent plus te visiter. Parce que ton fils est en décrochage scolaire. Parce que ta fille est en train de divorcer. Parce que c’est une obligation. Parce que c’est une fête commerciale. Parce qu’on mange des fricassées de homard au rhum et des noisettes de biche aux cerises pendant que des migrants meurent en Méditerranée. Tu marches dans la lumière rasante de décembre. Tu poses les yeux sur ton ombre longue. Les Fêtes de fin d’Année. Parfois, on n’aime pas trop les Fêtes de fin d’Année.
Tout en haut des collines, dans ton écharpe de laine, tu écoutes le bruit du vent. Il vient d’Irlande. 3200 ans avant notre ère, des humains ont construit le tumulus de Newgrange. C’est au nord de Dublin. Dans le comté de Meath. L’entrée principale de ce tumulus est orientée vers le Sud-Est. Au jour précis du Solstice d’Hiver, cette orientation accueille la lumière du Soleil levant. La lumière de l’aube inonde alors le couloir du tumulus et la chambre funéraire.
Tu écoutes encore le bruit du vent. Il vient d’Ecosse cette fois. Du Nord de l’Ecosse. De Mainland, l’île principale des Orcades. Là, se trouve le tumulus de Maeshowe érigé entre 2800 et 3000 ans avant notre ère. L’entrée principale de ce tumulus est orientée vers le Sud- Ouest. Au jour précis du Solstice d’Hiver, cette orientation accueille la lumière du Soleil couchant. La lumière du Soleil couchant s’infiltre alors par le couloir d’entrée du tumulus et illumine la chambre funéraire principale.
Solstice d’Hiver.
Tu écoutes le vent qui vient d’Irlande et d’Ecosse. Et des siècles des siècles.
Selon les années de notre calendrier, le Solstice d’Hiver a lieu, dans l’hémisphère nord, le 21 ou le 22 décembre. Ce jour-là, notre hémisphère bascule du règne de l’Ombre au règne de la Lumière. C’est inscrit dans le ciel. C’est inscrit dans les cartes du Tarot de Marseille. Regarde les Arcanes. La Lune, Mère cosmique, Arcane XVIII. Juste avant Le Soleil, Père cosmique, Arcane XVIIII. Le Solstice d’Hiver nous fait glisser de l’Ombre à la Lumière.
Depuis le 21 juin, Solstice d’Été, les jours raccourcissent. Juillet et août, tu riais, avec tes amis et tes amies, le soir, sur une terrasse, dans un jardin. L’Été était un feu jusque tard dans la nuit. En quelques jours, fin août, dans ton monde visible, l’Été s’est racrapoté, rétréci. Et a disparu. Est venu septembre.
Et le règne de l’Ombre.
L’Été est loin de toi. Tu marches dans la lumière rasante de décembre. Tu renifles. Tu te mouches. Tu replies, dans ta poche, un mouchoir. Tu n’oses guère le dire, sauf à des proches, mais à l’intérieur de toi, c’est triste. Un peu comme une branche morte couchée dans la rivière. Un peu comme un épis de maïs oublié par une charrue. Un peu comme l’oeil d’un poney transi dans un pré de givre. Tu observes l’ombre noire des arbres sur l’herbe. Les ombres fines, élancées. Le Soleil est bas. Les ombres sont longues. De jour en jour, le Soleil ne cesse de descendre dans le ciel. On dirait qu’il frôle l’horizon. Il dessine une ligne courbe qui passe juste au-dessus des forêts. Et c’est tout. Lumière rasante. Décembre. Tu as froid. Tu penses aux hommes et aux femmes qui ont érigé les tumulus de Newgrange et de Maeshowe. Il te semble les entendre. Ils te parlent. Tu les écoutes. C’est étrange, ce sentiment de voyager dans les siècles des siècles. Étrange, cette sensation de percevoir, dans la lumière, le frôlement d’hommes et de femmes qui ont œuvré sur Terre il y a près de 5000 ans.
Au jour précis du Solstice d’Hiver, l’entrée principale du tumulus de Newgrange accueille la lumière du Soleil levant. Au jour précis du Solstice d’Hiver, l’entrée principale du tumulus de Maeshowe accueille la lumière du Soleil couchant. Les bâtisseurs des siècles des siècles ont pensé leurs ouvrages funéraires en fonction de la course de la Terre dans l’Univers au jour du Solstice d’Hiver. Tu te répètes ces mots. Ça te procure un vertige.
Enfant, tu n’aimais pas trop la nuit. Les Ténèbres te faisaient peur. « J’ai peur du noir » disais-tu à ta maman. Alors, ta maman, installait une veilleuse. Alors, ta maman, laissait la porte de ta chambre entrouverte. Pour laisser passer un brin de lumière, un fil, un trait. Cette lumière te rassurait. Cette lumière était une présence. Alors, ta maman collait sur le plafond de ta chambre des étoiles phosphorescentes qui brillaient, brillaient, brillaient dans le noir jusqu’à ce que tes yeux se ferment. La nuit.
Tu redoutes les Ténèbres. Il t’en faut, du courage, en décembre. Les Ténèbres ne font que croître. La main de l’Univers t’entoure de noir sombre. Chaque nuit davantage. Ton cœur est celui d’un enfant. Toujours. Tu as toujours peur du noir. Le noir de l’Univers. Le noir millénaire. La nuit éternelle.
Vers le 21 décembre, les jours rallongent. La lumière revient. Peu à peu. Imperceptiblement. Victoire de la Lumière sur les Ténèbres. Ça mérite bien une fête. Ça mérite bien un temps de célébration. L’Univers ouvre la porte à la Lumière. Comme une mère. La Lumière protège. La Lumière rassure. La présence. Enfant, tu avais peur du noir.
Tu marches dans la lumière de décembre. Tu penses aux Fêtes de fin d’Année. Parfois, on n’aime pas trop ces fêtes. Et pourtant. Offrir à ces fêtes nos vibrations. Diriger nos âmes vers le Soleil levant ou le Soleil couchant. Capter l’énergie du Solstice d’Hiver. La vie. Peu à peu. Revient. Ton âme. Nos âmes. Tes forces. Nos forces. Ta vie. Nos vies. Les hommes et les femmes de Newgrange et de Maeshowe te parlent. Et tu les écoutes.
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