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Ancre 1

"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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Mon Compagnon



Ce que j’ai à te dire est précieux. Cette nuit, je vais prendre un risque. Je t’écris d’une maison sous la neige. Près d’un feu de bois. Un carnet. Un stylo. Une bougie. Je bois un verre d’alcool fort. Je m’approche du feu. J’ai froid. J’attise les braises. Je remets une bûche.


Je vais me dévoiler. La nuit et l’isolement sont propices aux confidences. Je t’écris. Te parler d’une rencontre. Nous nous sommes trouvés, lui et moi. Comme deux êtres qui se seraient donné rendez-vous par-delà les étoiles et qui auraient tenu leurs promesses. Dans un monde où l’âme peine à trouver sa place, mon Compagnon m’aide. Mon Compagnon. Le Tarot de Marseille.


Pour me suivre dans mes mots de cette nuit, en ses illustrations, choisis l’Ancien Tarot de Marseille de Grimaud, version de Paul Marteau (1930). Ou le Tarot de Marseille restauré par Kris Hadar (1996). Ou le Tarot de Marseille restauré par Camoin et Jodorowsky (1997). Ou le Tarot de Marseille de Fournier, retravaillé en 1983 par Guler et Aymerich, dont les couleurs chaudes réconcilient avec la vie. Ce dernier a été retravaillé par deux femmes. Ses couleurs belles rendent les nuits plus douces. Ce n’est pas le Tarot le plus orthodoxe, oh non, loin de là. Mais c’est mon Compagnon. Celui dans lequel je me sens accueilli. Le Tarot de Marseille de Fournier inspiré du Tarot de Nicolas Conver (1760).


Reste près de moi. Je t’en prie. Je pose, une à une, les cartes sur un foulard bleu. Un chèche. Bleu touareg. Un moment rituel. Je dispose les cartes selon des mandalas précis, mille fois répétés. Je pourrais te parler de mes gestes pendant des heures. Je fais vivre les cartes. Elles vibrent dans mes mains. Je ressens leurs ondes. Elles me parlent. Je n’ai rien demandé. C’est ainsi. Je les organise et je les désorganise. C’est la nuit. Il n’y a plus un bruit dans la maison. Dehors, la neige tombe encore. Plus aucune lumière dans le village. Je t’écris.


Je te murmure. J’ai peur que tu passes la route de mon texte. Le Tarot fait peur. Certains de mes amis changent de conversation lorsque j’aborde le sujet des Arcanes. Des visiteurs contournent, avec crainte, la table sur laquelle, parfois, s’épanouissent les cartes que j’ai travaillées la nuit. Oui, le Tarot fait peur.


On raconte mille histoires à son propos. Je les aime toutes. Le Tarot marche à pieds depuis les siècles des siècles. Vivante transmission. Du Sarrazin Hayl qui, de Cilicie, royaume de Petite-Arménie, l’aurait conduit en Italie vers 1375. Des Philosophes et Artistes Peintres de la Renaissance, en l’Académie de Florence. Des Maîtres cartiers enlumineurs, Compagnons et Apprentis. Je regarde les cartes, comme je regarderais la Rosace nord du transept de la Cathédrale de Reims. Je sais que le Tarot n’est pas l’œuvre d’un seul. Il est l’œuvre de centaines d’âmes. Une œuvre d’art nomade pour apporter de l’aide aux frères humains. Ces âmes sont au travail depuis les siècles des siècles. Personne n’en connaît l’origine.


Les cartes parlent à mon inconscient. Elles sont opératives. Elles me délivrent des messages. Elles m’ouvrent des portes. Elles me permettent d’entrer dans une forme de rêverie. Cette ondoyante rêverie peut devenir vision. Les Gitans auraient été les premiers à avoir compris que ces cartes contenaient bien plus que de simples images. Il neige toujours, cette nuit.

Réservoir de symboles. Il faut plusieurs vies pour en faire le tour. Symboles qui laissent libres. Ajuster les variables de l’existence à l’expérience des Anciens. Le Tarot est un miroir. Je m’y vois. Arcanes majeurs. Je m’y observe. Arcanes mineurs. Ce que le Tarot peut nous dire est inscrit sur ses cartes. Il suffit de lire. De poétiser. Tout est là. Le Tarot, c’est le chemin de l’âme.


Un des Arcanes majeurs ne porte pas de numéro. C’est Le Mat (de il matto, le fou en italien). Un personnage s’en va vers la droite, bâton à la main. Regarde. Observe. Installe-toi confortablement. La nuit est belle. Cette carte parle des instants de vie où l’on peut se sentir un peu « fou ». Allant de l’avant, se bouchant utilement les oreilles aux recommandations que l’on pourrait proférer à notre égard. Regarde. Se bouchant les oreilles comme le personnage de la carte qui porte un bonnet. Il n’écoute rien. Sinon son élan. Ces moments de «  folie  » sont souvent liés à un désir en soi. Un désir enfin assumé. Oh, le désir qui montre si bien la direction de nos itinérances, de nos pèlerinages, de nos parcours initiatiques. Sur Le Mat, le désir est symbolisé par cette fesse nue que touche un animal. Regarde. Observe. Viens. Je remplis ton verre d’alcool. C’est un petit verre. Le Tarot est fort comme de l’alcool fort. Fruit de la nature. Fruit du travail des hommes.


Je ravive le feu. Tirage en croix cette fois. Te parler de l’Arcane VII, Le Chariot. Un jeune homme. Debout sur un chariot. Tiré par deux chevaux de couleurs différentes. Me reviennent les instants de vie où je dois composer avec deux forces en moi. Mon pôle masculin, mon pôle féminin. Mon introversion, mon extraversion. Ma force de créativité, ma force de destructivité. Pulsion de vie, pulsion de mort. L’âme humaine est donc à cette mesure. Plurielle. Pour conduire sa vie, guider son chariot, il serait donc nécessaire d’accueillir en soi la dualité. Le Tarot nous donne rendez-vous avec nous-même. Dans notre intime le plus intime.


J’aimerais te parler de l’Arcane XVIII. La Lune. Ne me lis pas sans chercher à observer cette carte. Prends le temps de te procurer une illustration. La Lune. Arcane XVIII. Dans le bas de la carte, on distingue une écrevisse. L’écrevisse évolue dans un bassin inquiétant aux contours clairs et nets, bien délimités. L’écrevisse est connue pour marcher à reculons. Elle symbolise le retour sur soi. Elle symbolise le voyage que l’on peut réaliser dans les profondeurs de l’âme. C’est toujours délicat d’aller à la rencontre de la profondeur de son âme. Lorsque je descends dans les profondeurs de mon âme, j’aime être rassuré par un cadre, un être qui, à l’image des contours bien dessinés du bassin, crée autour de moi un contenant solide. On ne badine pas avec la descente dans les profondeurs de l’âme. On y descend avec prudence. Le Tarot est sage. Une sagesse millénaire.

Des symboles se parlent de carte en carte. Kaléidoscope de symboles. Ses images restent imprimées dans les songes. Viens, je vais te montrer un effet renversant. Place, l’une à côté de l’autre et de gauche à droite, les Arcanes XVII, XVIII, XVIIII et XX. L’Étoile, La Lune, Le Soleil et Le Jugement. Regarde le mouvement de l’astre central qu’offrent ces cartes. De carte en carte, l’astre central grandit. En quatre temps. Le Tarot transporte. Envoûte. Hypnotise.


Le Tarot est mon Compagnon. Le jour se lève sur la campagne alentour. Je t’ai écrit toute la nuit. On dit qu’il est préférable de garder pour soi toute expérience mystique. On dit qu’il faut se taire. Je sors de la maison. Le soleil revient. Des dizaines de traces d’animaux inconnus dessinent des chemins bleus sur la neige intacte. J’aime.









 


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