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"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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Le spirituel essentiel



Laurent Jouvet (1957), après un triple parcours – scientifique, musical, monastique – se consacre à la méditation et à la spiritualité, pour lui-même et dans son enseignement, en France, en Allemagne, en Suisse ou en Italie. Au-delà des chapelles et des dogmes, il invite à un chemin spirituel simple, dépouillé et accessible.



La question spirituelle me fascine depuis l’adolescence. Par petites touches – visite inattendue d’un monastère bouddhiste dans le Vercors, rencontre d’une peintre d’icônes, fascination pour la liturgie monastique – j’ai fini par saisir mes trois questions essentielles, qui sont comme trois lumières dans ma vie :

- Quel est le sens de la spiritualité ?

- Quels sont les moyens pour y progresser ?

- Comment transmettre cette richesse aux autres ?


Ces questions que j’approfondis tous les jours dans ma pratique personnelle et mon enseignement donnent sens à ma vie.


Infiniment simple

Mes six années de vie monastique furent un moment privilégié de ma vie, mais j’ai fini par quitter ces institutions car elles ne me nourrissaient pas spirituellement. Ce n’est que plus tard, par la pratique personnelle de la méditation et son enseignement, que j’ai compris ce qui m’avait manqué. Aujourd’hui, la joie que me procure la transformation spirituelle me pousse à vouloir la partager pour annoncer une très bonne nouvelle : la spiritualité la plus profonde est une réalité éminemment simple et à portée de main, qui n’a pas besoin d’une pratique difficile, compliquée, héroïque. Elle est au contraire liée à la qualité de ma perception du corps, du silence de mon esprit et de cette présence en moi qui est ma source.


Ordinaire ou extraordinaire ?

Je dois avouer que je suis entré au monastère pour de mauvaises raisons. Entre deux cours au Conservatoire de Genève, j’allais dans l’église du Sacré-Coeur, cherchant « quelque chose » de l’ordre de la spiritualité, mais ne le sachant pas exactement. Et j’étais tombé sur de petits opuscules relatant des vies de saints, décrivant des extases surnaturelles, des souffrances infinies, des lumières divines et des abîmes insondables. Je me suis alors dit que c’était cela la mystique, l’union avec l’Essentiel.


Grâce à Dieu, ces manifestations m’ont été épargnées, jusqu’à ce que je comprenne que ce que l’on cherchait avec autant d’espoirs surhumains était caché en moi et n’attendait qu’une seule chose : que j’ouvre les yeux pour voir qu’elle était si proche et si accessible. Depuis, je plaide pour une mystique

« ordinaire ».


Converger ou diverger ?

À force de lire les auteurs spirituels, on est obligé de constater qu’au-delà de formulations liées au milieu culturel et à l’époque, on sent qu’en sous-texte, il s’agit bien d’une expérience universelle indescriptible que tout le monde essaie de décrire comme il peut pour pouvoir la transmettre. Comme Maître Eckhart, qui répète qu’on ne peut rien dire sur Dieu et qui ne cesse d’en parler. Lorsqu’on compare les textes suivants, de provenances très diverses, on est frappé par leur air de famille :


Yogasûtra « Lorsque les agitations du mental cessent, le Témoin apparaît tel qu’il est en lui-même. »


Eckhart : « Lorsque le temple de l’âme est vide, ton fond est le fond de Dieu, qui est pure connaissance (conscience) de lui-même. »


Thérèse d’Avila : « L’âme n’a pas besoin d’ailes pour aller chercher Dieu, mais elle a seulement besoin de chercher la solitude pour le regarder au-dedans d’elle-même, sans s’étonner d’y trouver un hôte si aimant (= Dieu). »


Shodo Harada (Zen) : « Par la pratique de la méditation, Zazen, je retourne à mon essence propre et je deviens pleinement ce que je suis. »


Le livre spirituel est un miroir de nos propres expériences, il donne les mots à notre expérience et nous permet de la reconnaître. C’est alors que l’immense fraternité de tous ces spirituels saute aux yeux : ils convergent tous vers une expérience spirituelle d’une infinie simplicité.


Les petits maîtres et les commentateurs, eux, s’enfoncent dans des explications, des gloses et des interprétations qui les éloignent de l’expérience. Ils semblent diverger car ils manipulent des concepts, alors que les mystiques manient des images pour nous éveiller à notre propre éveil.


Et Dieu dans tout ça ?

On l’a vu dans les exemples ci-dessus, certaines traditions font l’économie de l’instance que l’on appelle « Dieu ». Mais comme le disait Maître Eckhart de manière humoristique : « Je supplie Dieu de me délivrer de Dieu ». Il voulait dire par là que l’expérience spirituelle la plus profonde pouvait me délivrer des représentations que nous nous faisons d’un « Dieu » grand ordonnateur de l’univers. « Dieu n’est ni ceci, ni cela, c’est ce qu’il y a de plus élevé en moi », Eckhart ira jusqu’à dire qu’une fois que l’esprit est totalement délivré des représentations, il est de nature divine.


Ce qui est certain, c’est que le « Dieu » des mystiques, s’ils font appel à ce mot, n’est pas du tout le « Dieu » des religions. Jésus l’avait déjà dit : « Le royaume de Dieu (= le lieu du divin) est en vous », alors que les grands prêtres le situaient dans le Temple de Jérusalem.


Les trois clefs

L’expérience spirituelle n’est pas magique. Aucun rituel ne peut la donner de lui-même, car ce n’est que ma disposition intérieure qui me rend capable de l’accueillir. Ce n’est pas la pratique que je fais qui, en elle-même, est porteuse de l’éveil, de l’union, ou de quelque nom que l’on nomme l’illumination, mais c’est la présence à moi-même et à la pratique qui est efficace.


On peut représenter la progression spirituelle comme l’enfoncement au cœur d’une ville ou d’un château, d’après la métaphore qu’ont déjà employée Thérèse d’Avila et beaucoup d‘autres. Imaginez trois enceintes concentriques avec trois portes.


La première clef qui permet d’entrer dans l’expérience spirituelle, c’est le corps. Le corps est l’unique instrument spirituel que je possède. En redevenant conscient de mon corps par tous les canaux des sens, je l’apaise, je le détends, je le guéris, mais surtout je deviens le corps que je suis au lieu de m’identifi er au mental agité que je ne suis pas. Cette présence consciente à mon corps a une conséquence très importante : elle pacifie l’esprit, elle lui permet de devenir silencieux.


La seconde clef me permet d’entrer en moi, dans mon intériorité. Habituellement, elle est étroite et pleine de pensées agitées, d’émotions désagréables, d’images changeantes et de souvenirs envahissants. Mais par la pratique corporelle, cet intérieur s’est apaisé et il y règne un silence paisible. Dans ce lieu intérieur, je profite de ce silence, de ce repos. C’est, à véritablement parler, de la « méditation », car la méditation ne consiste pas à lutter pendant des heures contre les pensées en étant assis sur un coussin dans une posture inconfortable. Non, la conscience du corps me permet de pacifier l’esprit et la méditation me permet d’explorer l’esprit pacifié.


La troisième clef, c’est l’entrée dans le lieu le plus central de l’intériorité. Une fois que la méditation a permis d’ouvrir l’espace intérieur et de voir à quel point il était vaste, l’attention va se mettre en quête de ce que j’appelle volontiers « la Source », l’endroit où mon être et ma vie jaillissent. Quelque part dans ce silence intérieur plane une Présence qui est à la fois présence à moi-même et à la transcendance. La conscience qui m’habite, ce Témoin immuable (le drashtar du Yogasûtra) est la source de mon être, et les mystiques l’identifi ent à Dieu, ou à « Rien de Rien », ou au Soi, etc.


La pratique

Mais alors, que faut-il faire ? Peu de choses. Continuer les pratiques que l’on a déjà acquises, et dont nous nous rendons compte qu’elles sont « justes » lorsqu’elles nous mènent au silence intérieur. C’est la première clef : faire entrer le monde et mon propre corps par tous les sens, par tous les canaux, sans nommer et sans juger, dans une grande unité perceptive. Puis la seconde clef m’ouvre le silence intérieur où je chercherai ma Source avec la troisième clef.











 

Bibliographie :

Jésus mystique (Cabédita, Suisse, 2019)

Yogasûtra (Almora, Paris, 2020)

En préparation : Edition complète des sermons allemands de Maître Eckhart (Almora, Paris 2021).

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