La permaculture classique propose une démarche de conception éthique qui vise à co-créer un mode de vie durable en imitant les fonctionnements de la nature. La permaculture humaine, de son côté, utilise les mêmes principes en mettant davantage l’accent sur l’écosystème humain. Elle regroupe un ensemble de pratiques destinées à concevoir, planifier, structurer un groupe, un projet ou des organisations pour les rendre féconds, pérennes et donc durables.
Avant d’aborder la « permaculture humaine », il est nécessaire de comprendre ce qu’est la permaculture tout court, car — on ne le répétera jamais assez — la permaculture n’est pas une technique de jardinage, ce n’est qu’une des applications possibles. Il s’agit plutôt d’une approche systémique de conception d’écosystèmes harmonieux
inspirés par les fonctionnements ultra-performants de la Nature (biomimétisme ou écomimétisme).
Contraction des mots « permanent agriculture », le terme « permaculture » fût utilisé pour la première fois en 1910 par l’agronome américain Cyril George Hopkins dans son livre « Soil Fertility and Permanent Agriculture ». Le mot synthétise alors toutes les méthodes culturales qui permettent aux terres de maintenir leur fertilité naturelle. Mais le concept s’inspire surtout du modèle d’agriculture naturelle du microbiologiste et agriculteur japonais Masanobu Fukuoka (1913-2008), l’auteur du célèbre ouvrage « La Révolution d’un seul brin de paille ».
L’approche sera ensuite théorisée par le biologiste australien Bill Mollison (1928-2016) et l’un de ses élèves, David Holmgren (1955), qui popularisent l’expression dans leur livre de référence « Permaculture One » paru en ‘78. Avec le temps, la signification s’étend pour signifier « culture de ce qui est permanent dans le sens (sociologique) de pérenne ou viable ».
Grâce à ce sens plus étendu, la permaculture offre une vision éthique, ainsi qu’un ensemble de principes clefs (voir encadré), dont l’objectif est de permettre à quiconque de concevoir son propre système autonome, durable et résilient, en s’inspirant des fonctionnements naturels locaux.
La permaculture est également une philosophie basée sur l’idée que le chemin prime sur le but recherché et sur le fait que la vie se régénère d’elle-même et tend à se perpétrer quoi qu’il arrive, de manière spontanée, illimitée et abondante.
La permaculture est aussi une science visant à observer et comprendre les interactions de tout système en puisant dans les connaissances établies des sciences naturelles, environnementales et humaines.
Finalement, c’est véritablement un art, avec la notion de ‘design’ qui signifie à la fois la capacité à penser et à concevoir des systèmes vertueux, mais aussi l’intention d’amener de la beauté et de l’harmonie à l’ensemble.
À petite échelle, la permaculture conduit donc à aménager des espaces de vie pour cheminer vers de plus en plus d’autonomie, sans créer de pollution, tout en répondant aux besoins vitaux. À grande échelle, les cofondateurs parlent de « bio-région » : un territoire éco-systémique équilibré sur lequel habite une communauté d’individus qui utilise avec respect, dans un cercle vertueux, tout ce que peut produire ce territoire. C’est ici qu’apparaît l’intérêt de la « permaculture humaine », car si nous voulons redéfinir notre manière de vivre au sein d’un éco-système, nous avons besoin de retrouver les bases du ‘vivre ensemble’, du ‘discuter ensemble’, du ‘décider ensemble’, du ‘créer ensemble’, ... et ce, quelle que soit l’échelle (familiale ou collective). La permaculture humaine apporte donc les outils, les
attitudes et les principes permettant de mieux vivre ensemble.
La posture permacole appliquée à l’humain
En matière de « permaculture humaine », il n’y a donc pas de définition toute faite mais des axes d’intentions, de réflexions et d’actions. Ainsi la posture permacole appliquée à l’humain peut aider à : prendre soin de soi et des autres, aider à la prise de décision, transformer les problèmes en solutions, devenir conscient de notre système « individu » et des systèmes dans lesquels nous sommes imbriqués afin d’interagir harmonieusement avec ces systèmes, sortir de l’approche fractionnée par objectifs au profit d’une vision globale et même holistique, etc.
La permaculture humaine met en avant le rôle du « designer ». Selon le projet ou le système concerné, il peut s’agir : d’une seule personne (qui crée son design de vie, planifie un voyage, souhaite se réorienter professionnellement…), d’un couple, d’une famille ou d’un groupe (qui définit son fonctionnement éducatif/ pédagogique, décide d’acquérir un bien, souhaite créer un lieu de vie, un habitat groupé ou fonder une association) jusqu’à une entreprise qui souhaite, par exemple, redéfinir ses méthodes de management…
Des écosystèmes humains durables
La permaculture humaine est donc une façon d’envisager le monde, en observant et en imitant les dynamiques naturelles pour les appliquer aux écosystèmes humains. C’est une approche innovante, créative et interactive qui s’inscrit totalement dans l’objectif des individus qui souhaitent travailler ensemble pour concevoir des solutions durables face aux crises et incertitudes actuelles et futures.
Tout comme sa grande sœur, la permaculture humaine n’offre pas de ‘méthode toute faite’ à appliquer unilatéralement, il s’agit davantage d’une boîte à outils qui permet de cheminer dans un processus de conception éco-holistique.
C’est également une invitation à se réconcilier avec la Nature dont nous sommes totalement dépendants puisque nous en faisons partie intégrante. Nous pouvons ainsi découvrir ou redécouvrir les manières dont nous sommes vitalement reliés aux cycles de l’eau, des saisons, de la vie des sols et des forêts et réapprendre à « permacultiver » notre nourriture d’une manière qui soit en phase avec les enjeux d’aujourd’hui. En ce sens, la permaculture humaine offre de formidables outils pour l’indispensable transition en cours. Chacun peut bien sûr adapter ces outils à son rythme et à ses préférences, quelle que soit la situation (famille, quartier, école, entreprise, etc.).
Retrouver notre juste place
La notion de « niche écologique » désigne la place occupée par une espèce au sein de tout écosystème. Quelles que soient les espèces, toutes ont en commun d’avoir une place complémentaire, orientée vers le bien commun et la pérennité de l’écosystème entier. Enfin, toutes… sauf l’humain moderne ! Notre place en tant qu’espèce responsable semble en effet ne plus faire partie de notre patrimoine génétique…
Afin de réactiver cette responsabilité et trouver notre « niche » spécifique au travers de laquelle nous serons utile à l’ensemble, il est essentiel de retrouver notre place au sein de la Nature dont nous sommes une expression vivante.
Une des clefs pour y arriver est de nous autoriser à ouvrir les portes de la prison que nous nous sommes créée, en sortant par exemple du moule éducatif et social dans lequel nous fonctionnons. Trouver notre propre niche, notre place et notre raison d’être, est un préalable à toute participation à un projet collectif.
En effet, toute espèce a toujours pour objectif sa propre pérennité. Mais notre société est tellement technicisée et coupée du Vivant qu’elle nous fait oublier cet enjeu collectif. Il s’agit donc de sortir des habitudes individualistes dans lesquelles nous avons grandi. La permaculture humaine peut nous y aider, notamment à l’aide du processus de design.
Le design
Pour les auteurs du livre « La Permaculture humaine » (voir « Références » en fin d’article), le terme ‘design’ recouvre « un ensemble de pratiques destinées à concevoir, à planifier, à aménager, à structurer un espace, un projet, un groupe, des relations ou des organisations pour les rendre féconds, abondants et durables. »
Chaque design est unique puisqu’il répond à un défi ou à un projet spécifique. L’objectif du design est d’atteindre le maximum d’autonomie (économique, énergétique, sociale, etc.). A noter : le design n’est pas un processus linéaire mais interactif qui fait des allers retours entre ses différentes étapes. Il comprend toujours (au moins) les 10 phases suivantes:
1. Observer
Il s’agit d’observer consciemment la situation dans laquelle nous sommes actuellement (professionnellement, familialement, etc.) sans l’analyser ni chercher des solutions. Nous nous posons dans le silence, tranquillement, et nous observons les différents éléments et nos ressentis face à eux.
2. Identifier l’effet bordure
L’effet bordure concerne à l’origine la zone-frontière entre deux environnements (par exemple entre un pré et une forêt). Ces zones sont généralement très fertiles. Ici, il s’agit d’identifier quels sont les coopérations et les échanges de compétences avec autrui qui seraient mutuellement les plus bénéfiques.
3. Déterminer les ressources et les besoins
A cette étape, nous pouvons évaluer les facteurs suivants :
ressources internes disponibles : humaines, naturelles, matérielles, fi nancières, etc.
ressources extérieures : expériences d’autres projets ayant réussi, outils, réseaux, etc.
facteurs limitants : contraintes règlementaires, économiques, culturelles, climatiques, etc.
besoins matériels et immatériels : locaux, revenus, formations, autonomie, harmonie, etc.
4. Évaluer et trier les données recueillies
Une fois les facteurs ci-dessus identifiés, il faut les répertorier en se focalisant sur les plus importants pour la vie du projet. C’est en faisant ce tri qu’apparaitra le fil conducteur, la ‘raison d’être’ du projet.
5. Découvrir, connecter et analyser les niches
A cette étape, chacun écrit les rôles qu’il souhaite avoir au sein du projet, ses compétences, ses atouts, etc. Ensuite, chacun liste ses forces, ses faiblesses et ses besoins. On dévoile ensuite l’ensemble des découvertes des participants. Au fur et à mesure se dessinent des complémentarités qui vont indiquer où se situe la niche du projet lui-même et sa juste place dans le monde.
6. Rêves et remue-méninges
Suit alors une partie créative où l’on se laisse rêver à tous les possibles autour du fil conducteur défini précédemment. Il faut laisser le temps à cette étape qui peut s’effectuer durant des promenades, du jardinage, du temps libre, etc.
7. Concevoir un design fonctionnel
Afin de s’assurer que le projet est réaliste, on peut se poser des questions-clefs telles que : le projet répond-il à un besoin réel de l’écosystème local (ou plus vaste) ? Bénéficiera-il à toutes les personnes du système et au delà? Chaque élément (ou chaque membre) aura-t-il plusieurs fonctions ? A-t-on bien pris en compte la diversité des forces et des faiblesses ? …
8. Installer le design
C’est le moment où l’hémisphère droit du cerveau joue son rôle favori : mettre en œuvre le projet, à force d’analyse et de réflexion. Attention, néanmoins, à rester flexible et à envisager tous les possibles !
9. Maintenir la pérennité du design
La capacité d’auto-régulation du projet est la condition ultime de sa réussite, si les membres doivent constamment réajuster les éléments fondateurs du projet, c’est que ce dernier est à redéfinir.
10. Célébrer !
Quelle que soit la phase du processus de design, toutes les occasions sont bonnes pour entretenir la joie et célébrer ensemble !
Des outils novateurs
Evidemment, pour mener à bien ce type de processus et collaborer harmonieusement au niveau relationnel, il existe pléthore d’outils et de méthodes de communication, de brainstorming ou encore de prise de décision permettant d’appliquer les principes de la permaculture humaine. La « Communication NonViolente » en est une. Il y a également la « Prise de décision par consentement » (c’est l’une des 4 règles de la méthode de gouvernance Sociocratique formalisée par Gerard Endenburg), les mandalas holistiques (comme le « Wholistic Goal-setting Mandala » créé par Robina McCurdy qui sert à cibler des objectifs en groupe de manière holistique sous forme de ‘mandala d’organisation’), la méthode de management des « 6 chapeaux » (développée par Edward de Bono et qui permet de résoudre les problèmes en favorisant la pensée critique afin d’éviter la censure des idées nouvelles, dérangeantes ou inhabituelles),… pour n’en citer que quelques-unes.
Devenir artisan du changement
La permaculture humaine souligne le lien fondamental qui unit les espèces peuplant notre planète. Ce qui est bon pour les êtres humains s’appuie sur ce qui est bon pour les autres espèces et vice-versa. Il s’agit d’une relation de complémentarité, d’interdépendance et de solidarité, et non pas d’une domination de l’humain sur les autres espèces. Cette domination désuète doit s’arrêter. Elle est la racine même des effondrements en cours de la biodiversité et, par conséquent, de l’extinction potentielle de l’espèce humaine.
Il est temps que nous réfrénions nos appétits et arrêtions de scier l’unique branche sur laquelle nous vivons tous.
Devenir artisan de ce changement demande le courage de transformer nos propres habitudes. La permaculture humaine offre de merveilleux outils, méthodes et astuces pour amorcer cet indispensable changement de vie.
Et n’oublions pas que chaque petit pas compte puisqu’il contribue immanquablement à la transformation de notre écosystème relationnel et, par résonance, de l’écosystème tout entier.
RÉFÉRENCES :« Introduction à la permaculture » de Bill Mollison aux Ed. Passerelle Eco
« La permaculture humaine » de Bernard Alonso et Cécile Guiochon aux Ed. Ecosociété