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L’unité dans la diversité



Qu’elles le veuillent ou non, sciences, philosophies et spiritualités convergent vers une description du monde qui tend à retrouver l’unité primordiale. En préambule à l’intervention qu’il fera avec Romuald Leterrier lors du colloque « Ouverture de Conscience » à Bruxelles le 16 octobre, Jocelin Morisson en propose ici une courte synthèse.



Le monde semble plus divisé que jamais : les nations, les communautés, les groupes d’appartenance quels qu’ils soient… Nombreux sont ceux qui se définissent avant tout par ce qui les distingue et les sépare des autres, au lieu de mettre en avant ce qui les rassemble, à commencer par leur condition humaine. L’Homme s’est coupé de la nature, qu’il exploite et détruit sans vergogne. La science a séparé la matière et l’esprit, pour ne reconnaître en ce dernier qu’un épiphénomène émergent de la première. Nous avons une tendance naturelle à découper, classifier, catégoriser… Pourtant, nous sommes nombreux également à rêver d’unité, à l’appeler de nos vœux. L’unité serait synonyme d’harmonie, de paix, de « vivre ensemble » et non « les uns contre les autres », de respect de l’ensemble du vivant et d’amour pour la Terre Mère à l’instar des peuples racines, d’un sentiment de reliance au cosmos et à l’invisible, et de lien indéfectible avec une source unique. Comprendre que « tout ne fait qu’un », comme nous l’affirment maints enseignements spirituels et nous le confirment les expériences d’états élargis de conscience, n’est toutefois qu’une étape car il faut passer de la compréhension au vécu, à l’incarnation. Il faut également souligner que la quête d’unité n’est pas une négation de la diversité, de la multiplicité des formes d’existence, ni de l’importance des individualités. On peut et on doit penser l’unité dans la diversité. Dans notre nouveau livre à paraître début 2023, et qui porte le titre provisoire de L’Univers- Esprit, nous avons voulu explorer avec Romuald Leterrier les différentes facettes de cette unité primordiale, depuis le « web cosmique » des chamanes jusqu’à l’universcerveau des cosmologistes, en passant par la non-dualité des spiritualités d’Orient.


Réseau cosmique


Lors d’un voyage en Amazonie, Romuald rencontre le peintre-chamane Pablo Amaringo et est interpelé par une toile en particulier. Celle-ci figure des hommes-médecine du monde entier et de différentes époques : prêtres incas, chamanes d’Amazonie, guérisseurs africains… Le peintre lui explique que tous sont reliés par-delà l’espace et le temps par une trame invisible, un « réseau cosmique » comparable au réseau Internet, et qui est présent partout. Le réseau permet un dialogue avec d’autres espèces conscientes, avec les esprits de la nature, et même avec les habitants d’autres planètes ! Au cours d’une session chamanique destinée à faire l’expérience de ce lien, Romuald consomme une « ayahuasca du ciel », préparée selon un rituel spécifique. Il effectue une sorte de voyage paradoxal qui révèle le cosmos comme inscrit à l’intérieur de son propre corps. De fait, les notions d’intérieur et d’extérieur n’ont plus de sens, les frontières s’évanouissent. « Voilà le mystère, s’écrie-t-il, l’univers est en moi ! »


Les travaux de ces dernières années réalisés en biologie végétale ont montré que les plantes elles-mêmes se constituent en vastes réseaux à l’échelle de forêts et même au-delà. On a parlé de « wood wide web » pour décrire ces interconnexions par voies racinaires, mycorhizienne (par le réseau des champignons) ou même aérienne (via des molécules volatiles). Les arbres d’une forêt s’organisent en couples, amis et même familles, explique Peter Wohlleben, auteur de La vie secrète des arbres. Deux arbres proches prennent soin l’un de l’autre et poussent de façon à ne pas se gêner, mais, « au niveau des racines, c’est l’inverse, ils sont complètement entrelacés, comme s’ils ne formaient qu’un. Et si l’un des arbres venait à tomber, l’autre mourrait très vite, comme un vieux couple. » Il y a même des « arbres-mères » qui allaitent véritablement leurs rejetons, leur transmettant du sucre et d’autres nutriments par les racines. Plus spectaculaire encore, une souche peut rester vivante car alimentée par ses congénères. Pourquoi ? Parce qu’elle renferme une « mémoire » de la forêt en conservant des informations relatives à des événements passés, comme des tempêtes ou des sécheresses.


Consubstance informationnelle


Le monde des champignons à lui seul est fascinant. Il existe plus de deux millions d’espèces de champignons et la plupart forme des filaments multicellulaires appelés « hyphes » qui constituent le réseau souterrain de mycélium. Selon Merlin Sheldrake, fi ls du célèbre biologiste anglais Rupert Sheldrake, le mycélium est le tissu qui structure le monde du vivant. Il a la capacité de dégrader et décomposer les cellules des organismes vivants, de s’étendre pour rechercher et assimiler l’eau et les nutriments, de former des symbioses avec les algues pour créer les lichens, et donc de se connecter également au réseau racinaires des plantes et des arbres (mycorhization). Mais le réseau est en outre capable de transmettre de l’information par voie chimique et même électrique, et aussi de stocker cette information. Au bout du compte, ce réseau se comporte comme un seul organisme… Une cinquantaine de familles de plantes ont abandonné la photosynthèse et se reposent uniquement sur le réseau mycorhizien pour se nourrir. Là aussi, les dernières découvertes sont stupéfiantes puisque les signaux électriques échangés par les champignons pourraient s’apparenter à un véritable langage. Les chercheurs de l’Université de l’Ouest de l’Angleterre à Bristol estiment en effet que ces signaux sont équivalents à des « mots » !


La science contemporaine découvre à peine ces différentes facettes de l’interconnexion du vivant et on parle désormais d’intelligence des plantes, d’apprentissage, de mémorisation, au point d’avoir donné naissance à une discipline entière : la neurobiologie végétale. Selon les peuples racines du monde entier, cette interconnexion se prolonge bien sûr dans l’invisible avec « l’esprit » des plantes. Chez les Indiens Shipibo-Conibo d’Amazonie péruvienne, les plantes sont dotées d’esprits individuels mais aussi d’un esprit collectif, un « esprit-mère » pour une même espèce. Ce concept appelé ibo a également une dimension trans-espèce et transrègne puisqu’il relie les différentes espèces végétales et même animales entre elles. Pour l’être humain, c’est la diète initiatique qui va permettre cette connexion. La diète de plantes est considérée par les chamanes comme un processus de « consubstance » informationnelle. C’est lors de ce processus que le chamane va entrer en relation avec l’ibo de la plante, et, de façon extraordinaire, le chamane se trouve alors plongé dans un monde onirique qui, métaphoriquement, est identique à un réseau. Les chamanes décrivent l’ibo comme une collectivité, comme le fait de se retrouver dans de grands espaces urbains sillonnés de réseaux routiers et de communications. Dans l’univers des visions, d’autres liens extraordinaires se révèlent, et notamment la capacité pour la conscience humaine d’explorer l’infiniment petit, la structure des cellules et même des molécules.


Physique et arrière-monde


La physique contemporaine elle-même est en quête d’unité. Des motivations initiales d’Einstein (« Je veux connaître les pensées de Dieu ; tout le reste n’est que détail ») aux intuitions de Max Planck (« je considère la conscience comme fondamentale. (…) Tout ce que nous considérons comme existant postule la conscience ») ; de l’unification des quatre forces fondamentales à la physique quantique relationnelle, tout tend vers l’unité. Avec la relativité restreinte, Einstein a concilié les lois du mouvement de Newton avec l’électromagnétisme, puis avec la relativité générale, il a concilié la notion d’espace-temps avec la gravitation. La physique quantique nous décrit aujourd’hui les particules élémentaires, constitutives de la matière et du vivant, comme des excitations locales d’un vaste champ, en interaction avec le vide. Ce dernier est vide de matière mais plein d’énergie et de potentialités. Il n’y a plus « d’objet », mais un réseau de relations. Le physicien Carlo Rovelli, un des pères de la gravité quantique à boucles, estime que « la réalité est relation », et précise : « L’état d’un système physique est le réseau de relations qu’il entretient avec les systèmes environnants. La structure physique du monde est identifiée en tant que ce réseau de relations ». Mais le physicien Jacques Pienaar estime que, pour être cohérente, cette proposition de la mécanique quantique relationnelle devrait se poursuivre ainsi : « … ce réseau de relations relatif à un observateur ». En effet, Pienaar est lui-même partisan d’une interprétation alternative de la physique quantique appelée Qbisme (Bayésianisme quantique) selon laquelle la théorie quantique ne décrit pas la réalité extérieure mais seulement ce que peut en connaître un « agent » (observateur). Les relations n’ont pas d’existence absolue mais sont elles-mêmes relatives… Une conception, souligne le philosophe Michel Bitbol, qui rejoint le bouddhisme de l’école madhyamaka (voie du milieu) ainsi que la phénoménologie de Husserl.


Le monde des apparences, des phénomènes, semble relié en arrière-plan par ce que David Bohm a appelé « l’ordre implicite » (ou implié). C’est une sorte d’arrière-monde qui connecte des événements éloignés dans l’espace, mais aussi dans le temps. L’espace, le temps et la matière émergent alors de cet ordre plus profond, ce qui n’est pas sans évoquer à la fois les visions du monde issues des spiritualités d’Inde et d’Asie, mais aussi du concept d’inconscient collectif de Jung. Car l’ordre implicite peut être assimilé à une sorte d’esprit transcendant à partir duquel s’articulent les phénomènes physiques et les phénomènes psychiques. Selon les mots de David Bohm : « En étendant le concept de totalité à l’homme, nous voyons que chaque être humain participe de façon inséparable à la société et à la planète comme un tout. Ce qu’il est possible de suggérer ultérieurement, c’est qu’une telle participation se réalise dans un esprit collectif plus grand, et peut-être à la fin dans un esprit d’une portée encore plus vaste qui en principe soit aussi capable d’aller indéfiniment au-delà de l’espèce humaine comme un tout. Cela peut être corrélé à certaines des notions proposées par Jung. (1) »


Le vide est plénitude


Pour certains, l’univers est un vaste hologramme, pour d’autres il est un immense cerveau ! Mais ce qui était autrefois une simple métaphore, une allégorie plus ou moins poétique, est aujourd’hui une théorie scientifique tout à fait en pointe, à la frontière de la cosmologie et des neurosciences. Les dernières observations sont d’ailleurs venues de deux spécialistes respectivement issus de ces disciplines, Franco Vazza, astrophysicien à l’université de Bologne, et Alberto Feletti, neurochirurgien à l’université de Vérone, qui ont joint leurs efforts pour publier un article remarqué dans la revue Frontiers in Physics (2). « Bien que les interactions physiques dans les deux systèmes soient complètement différentes, leur observation au moyen de techniques microscopiques et télescopiques permet de saisir une morphologie analogue fascinante, au point qu’il a souvent été noté que la toile cosmique et la toile des neurones se ressemblent », écrivent-ils notamment.


L’ordre implicite ou le vide quantique sont-ils l’équivalent du Tao, du plérôme des gnostiques, de la vacuité bouddhiste, là d’où tout émerge et où tout retourne ? Le rapprochement est plus que tentant car on lit que « le vide est plénitude » aussi bien chez les gnostiques que chez Tchouang-Tseu, qui poursuit en précisant que « la plénitude est totalité ». Mais le Sutra du cœur du bouddhisme mahayana nous dit aussi que « la forme est le vide, le vide est la forme », et le Tao souligne : « Quand on sait que le Grand vide est plein de chi, alors on sait que le néant n’existe pas ». En fait toutes les traditions spirituelles nous disent que le monde manifesté provient du « non-manifesté », qui est le siège de l’unité primordiale. Mais elles insistent aussi, avec moult nuances, sur le fait que la manifestation elle-même fait partie de cette unité. Rien n’est séparé, tout est un.


Pour mettre en évidence ce lien ultime, la science ne pourra pas faire l’économie d’intégrer la conscience, l’esprit, dans sa description du monde, car le matérialisme va apparaître définitivement comme une impasse. Par sa prétention à décrire la réalité au niveau ontologique, il est nécessairement incomplet. Il est déjà incomplet dans sa tentative de décrire la réalité physique, puisque la réalité physique contient des entités conscientes.


Substrat d’esprit


Pour le philosophe néerlandais Bernardo Kastrup, la cause est entendue : le monde, l’ensemble de la réalité, est un vaste « substrat d’esprit », au sein duquel la matière n’est que la forme que prend ce substrat lorsqu’il est observé depuis un certain point de vue. Dans son livre Pourquoi le matérialisme est absurde (3), il propose la métaphore suivante : « Imaginez l’esprit comme un ruisseau. L’eau peut s’écouler le long du cours d’eau sur toute sa longueur ; c’est-à-dire que l’eau n’est pas localisée dans le cours d’eau, mais le traverse sans encombre. Imaginez maintenant un petit tourbillon dans le ruisseau : il possède une existence visible et identifiable ; on peut localiser un tourbillon et en tracer grossièrement les contours ; on peut le pointer du doigt et dire : « Voici un tourbillon ! » (…) De plus, le tourbillon limite l’écoulement de l’eau : les molécules d’eau qui y sont piégées ne peuvent plus traverser librement l’ensemble du cours d’eau, mais sont bloquées sur place, tournoyant autour d’un endroit spécifique et bien défini. Le tourbillon localise le flux d’eau dans le courant. De plus, les molécules d’eau qui ne sont pas piégées dans le tourbillon sont, pour ainsi dire, « filtrées » hors du tourbillon, puisqu’elles en sont tenues à l’écart par la dynamique même du tourbillon. (…) Et cependant, le tourbillon n’est rien d’autre que de l’eau. Le tourbillon n’est qu’un motif spécifique du mouvement de l’eau qui reflète, premièrement, une localisation de cette eau dans le courant et, deuxièmement, un « filtrage » des autres molécules d’eau. Quand je parle du cerveau comme d’une image dans l’esprit, qui reflète une localisation des contenus de l’esprit, je pointe quelque chose de très analogue au tourbillon dans le courant. Le cerveau n’est rien d’autre que de l’esprit, tout en étant une image concrète et identifiable de la localisation de l’esprit, tout comme le tourbillon est une image concrète et identifiable de la localisation de l’eau dans le ruisseau. Vous pouvez montrer le cerveau et dire : « Voici un cerveau ! » En outre, de la même manière que l’on peut dire que le tourbillon « filtre » les molécules d’eau qui n’y sont pas piégées, on peut dire que le cerveau « filtre » les aspects de la réalité - c’est-à-dire les expériences - qui n’entrent pas dans ses propres limites. »


La multitude et même l’infinité des formes ne doivent pas faire perdre de vue l’unité originelle. Tout est relié, et nous devons intégrer pleinement cette réalité en nous identif ant tout autant à cette source primordiale omniprésente qu’à notre condition d’individu incarné, car nous sommes les deux à la fois, deux qui sont un.










 

(1) Massimo Teodorani, David Bohm – la physique de l’infi ni, Macro éditions, 2011

(3) À paraître aux éditions Aluna.

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