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"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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Il nous faudra des poètes


Il nous faudra des Poètes. Un Poète par village. Un Poète par commune. Un Poète par cité. Un Poète par rue. Un Poète par cage d’escaliers. Un Poète. Cette femme ou cet homme capable de lire la pluie, le soleil, le brouillard ou la neige.


Le premier Poète que j’ai croisé dans ma vie, c’était un Sourcier. Les Sourciers ont le don de l’eau. D’une baguette de noisetier, ils peuvent lire les veines d’eau cachées sous nos pieds. Ils peuvent lire les rives, la direction du courant, le débit, la distance, la profondeur. Les Sourciers enserrent deux branches d’une baguette dans leurs paumes, à l’horizontale de la terre, à hauteur d’homme et de femme. Ils avancent. Lentement. Longuement. Ils plantent leurs pas dans l’herbe. Ils battent du pied sur le sentier. Ils interrogent l’invisible. Enfant, j’ai croisé un Sourcier. C’était un vieil homme. Il sentait le miel, la paille, le copeau de bois et la graisse de machine. Il avait l’âge de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Il avait fait la guerre. Celle de Quarante. Alors. De sa poche, il a sorti un couteau en bois d’olivier. Il est allé au bout de la pâture. Près de la haie. Sans dire un mot. Comme un écrivain se retire. Il a taillé une baguette de coudrier. Une baguette en « Y ». Il a placé les deux branches en « V » de la baguette dans ses paumes dirigées vers le ciel. Il a arpenté la voûte terrestre. Soudain, la baguette s’est dirigée vers le sol. C’est parti aussi vite qu’une flèche. Le vieil homme a dit : « C’est ici ! » Enserrée entre ses poings fermés, la baguette s’est pliée et s’est cassée. Il a redit : « C’est ici ! » Et c’était là. La veine d’eau était là. Le Sourcier ne fait qu’un avec l’invisible, avec l’indicible. C’est un don.

Les Poètes ont un don. Les Poètes ont le don de lire dans ce qui n’existe pas encore. Ils nomment l’invisible et l’indicible. Ils sont les paratonnerres des vibrations humaines. Ils sont les transmetteurs des songes des uns et des autres. Il nous faudra des Poètes. Le Poète dit : « Un bruissement me traverse le cœur. Des mots me viennent, s’installent, cherchent un lieu d’aisance, de paix ou de révolte. Lorsque ces mots ont trouvé une place suffisamment belle, ma plume les dépose sur un papier. Je ne peux rien calculer. Je ne peux rien dompter. Je ne suis qu’un outil. Au bout du poème, lorsqu’un texte voyage dans l’espace et le temps, il se trouve des hommes et des femmes pour dire Vous avez mis des mots sur ce que je pensais. Alors, je me sens moins seul… »

Il nous faudra des Poètes. Des femmes et des hommes à qui l’on reconnaît le don de toucher l’expression de nos souffles souterrains, invisibles et indicibles. Il nous faudra des Poètes. Des hommes et des femmes qui connaissent le message de la salade, de la vague, de la montagne, de la pierre, du sable, de la marée, du marbre, des lunes, du miel, de l’eau, du paysage, des sommets enneigés, du silence, de la graine, du ballot de paille, du framboisier, de la chouette effraie, du coquillage, de l’aigle, de l’aspérule odorante, du chat, du regard, du touché, de l’amour, du fossile, du thé que l’on boit dans le désert, de l’horizon, des étoiles, du dessin que forment les astres dans le ciel, de la voie lactée, du morceau de bois centenaire, des rosaces, des rituels, du sacré en l’homme, du sacré en dehors de l’homme, du galet, de l’herbe, de la cerise, du noyau de cerise, de la peau que l’on touche, de la peau que l’on retrouve, du frisson. Il nous faudra des Poètes. Dans chacun des lieux de nos vies. Des hommes et des femmes qui entendent les ondes qui bruissent dans le cœur du plus grand nombre.

Il nous faudra des Poètes. Pour porter l’hirondelle, la graine de blé ancien, la mirabelle et le frisson du cœur dans les Cénacles des Assemblées de tous les Pays. Il existe des experts en tout. Des experts en communication, en fiscalité, en comptabilité, en management, en stratégie… Et c’est bien. Il nous faudra aussi des Poètes. Pour porter l’expertise de l’Âme. Pour porter un fromage de chèvre au perchoir des Parlements et dire : « L’Humanité est dans ce petit fromage. Oui, dans ce petit fromage de rien du tout. Regardez, elle tient dans une paume, l’Humanité. Quelques grammes. C’est le fruit d’une sagesse qui nous vient à pieds du fond des âges, transmise par des femmes et des hommes aux mains fortes, aux mains vigoureuses et généreuses… »

On entend déjà le brouhaha qui pourrait parcourir les Assemblées. « Qui est cet expert ? Est-il bien raisonnable de comparer l’Humanité à un fromage de chèvre ? » Le Poète continuerait en disant : « Ce que nous savons de la Poésie consiste en beaucoup d’hypothèses et très peu de certitudes. Je ne sais pas s’il est raisonnable de dire que l’Humanité est contenue dans un fromage de chèvre. C’est une petite voix en moi qui dit cela. C’est un murmure, un bruissement, une fine dentelle de pensées… Je viens vous parler de l’Homme et de la Femme, des saisons, de la bergerie, de la paille, des pierres calcaires, des poutres de chêne, du chevreau, des veilles d’hiver, des prairies, des clochettes, du petit tabouret de bois, du vent, du soleil, du printemps, des sabots, du loup aussi, oh, le loup, de l’artisanat, de la patience, du bon, du beau, de la transmission, de la source, du torrent, de la diversité, du plaisir, de la main d’un père à son fils, de la main d’une mère à sa fille… Je viens vous parler du tendre. Je viens vous parler de la pointe du Laguiole qui découpe un petit morceau de fromage pour que nos lèvres l’accueillent et que nos langues le goûtent en fermant les yeux, en remerciant… »

Le Poète pourrait prendre le temps d’une réflexion et dire encore : « Je ne sais pas ce qui nous arrive d’oublier à ce point les choses simples. Je ne sais pas ce qui nous arrive d’oublier à ce point l’amour des belles choses. Comme s’il y avait trop de cravates, ici. Pas assez de mains calleuses… »

Il nous faudra des Poètes. Des femmes et des hommes qui, comme les Sourciers, dialoguent avec l’invisible, l’indicible et le portent au monde.


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