Nous vivons dans une ère de grandes confusions. Les crises se multiplient autour de nous, qu’elles soient politiques ou institutionnelles, sanitaires ou financières, écologiques ou sociales, identitaires ou spirituelles. Partout, on s ́inquiète pour l’avenir. Mondialisation, numérisation, essor inédit des réseaux virtuels, effondrement de la biodiversité, traçage, transhumanisme... Tous les repèrent vacillent. Face aux angoisses et à la pandémie de désenchantement organisé, l ́heure est plus que jamais venue de réenchanter le monde !
Lorsque nous arrêtons notre routine et levons les yeux vers le ciel nocturne, nous découvrons le scintillement des étoiles. Un Univers plus vaste se dévoile. Un espace illimité s’ouvre au-delà de la matrice de notre monde humain. En contemplant simplement le ciel nocturne, nous pouvons ressentir une ouverture en nous, en résonnance à l’immense ouverture scintillante qui s’offre à nos sens.
Au cœur de cet émerveillement silencieux face à l’incommensurable, il y a une grâce, une magie, un enchantement. Comme si l’écho de cet Univers, là-bas, était une forme d’appel, de rappel, ici. Comme si l’infinie magnificence du ciel nocturne éveillait en nous un sentiment diffus d’appartenance, d’identité à quelque chose de plus vaste que le connu...
Cette intuition vivante, toute simple, semble pourtant avoir été oubliée par la majorité d’entre nous, cette communion vivante avec le Grand Tout a, quelque part, été perdue en cours de route par l’humanité. Un épais voile de séparation semble avoir recouvert cette vision innocente de l’enchantement premier... Et si, en ces temps chahutés, le moment était venu de la dévoiler à nouveau ? De réenchanter notre vision du monde ?
Alors que les anciens fonctionnements et systèmes de croyances se fissurent de partout et que la biodiversité s’effondre, une occasion unique nous est donnée de réinventer tous les secteurs d’activités humaines.
En ces temps sombres mais aussi plein d’espoirs du « Kali Yuga » (voir encadré), nous n’avons finalement jamais eu autant accès à tout ce qui est illusoire et faux, tellement les mensonges, détournements, manipulations sont devenus énormes et exposés à la vue de tous. Il est temps que le voile de séparation tissé par les croyances, les peurs et les conditionnements, et qui a recouvert le monde et endormi nos cœurs, puisse être transpercé, transcendé, pour revenir à une vision apaisée et réenchantée de la Vie.
Kali Yuga, l’Âge de fer
Commencé il y a plus de 5.120 ans, le Kali Yuga (« Âge de Kali » ou « Âge de fer ») est le quatrième et actuel Âge de la cosmogonie hindoue. Dans l’Hindouisme, il est dit que la civilisation humaine dégénère spirituellement au cours du Kali Yuga. Il est également surnommé « l'âge noir », car durant cette période les êtres humains sont aussi éloignés que possible des Dieux… Paradoxalement, il est aussi dit que le Kali Yuga est l’Âge où les humains souffrent le plus,
et où ils sont les plus nombreux à souffrir, et ce faisant, où il est plus facile de s’éveiller à sa véritable nature et se libérer du cycle des renaissances (Moksha).
Un auto-exil...
Jadis, les premiers hommes partageaient un destin commun avec leur environnement, à la fois terrestre et cosmique. Cela encourageait une participation directe et active avec le Tout. En ces temps reculés, l’environnement était un espace immersif, une matrice inclusive qui impliquait l’individu à chaque instant de sa vie. Nos lointains ancêtres n’étaient pas éloignés du monde comme l’est l’humanité moderne aujourd’hui, ils participaient directement à son enchantement.
Au fil des millénaires, cette fusion entre Être et Environnement a permis le développement d’une plénitude psychique chez les êtres humains. Pourtant, au cours des derniers siècles, l’humanité s’est de plus en plus extirpée du mystère sacré de la Vie, s’auto-exilant du royaume même de l’enchantement dont elle était partie intégrante...
D’où vient cette coupure d’avec la magie du monde Vivant ? C’est surtout l’émergence de la science rationnelle et matérialiste, qui considère le monde comme une multitude d’objets extérieurs séparés, qui a substitué à l’enchantement et au mystère de la Vie une vision mécaniste particulièrement réductrice. Le Cosmos de l’Être et du sentiment d’appartenance au Grand Tout a vite été classé dans les archives des croyances désuètes d’une humanité primitive...
La compréhension mécaniste du monde (qui se définit par sa séparation même avec le monde) étiquette injustement toutes les visions passées comme erronées, peu fiables et naïves. Ainsi, à partir de cette conception étriquée du monde coupée du Réel, toutes les notions antérieures sont jugées ‘non scientifiques’ et donc inférieures au dogme actuel !
« Notre déférence et dévotion quasi religieuse à l’égard de la science nous a fait oublier qu’elle est aussi faillible que les humains, dont elle est une des disciplines fondamentales. Cette attitude confère à la science une prérogative considérable sur le destin collectif, qu’aucune règle transcendante ne justifie. »
[Pierre Rabhi*]
Fin des anciens paradigmes Heureusement, cette perspective désenchantée contenait ses propres limites dès son émergence. Cette vision rationaliste ne pouvait survivre que quelques siècles (ce qui est déjà beaucoup), dominée par un matérialisme scientifique et une conception mécanique de l’Univers. Il est donc naturel que le paradigme scientifique moderne (le modèle « cartésien-newtonien »), tout comme le paradigme religieux, se trouvent désormais incapables de se maintenir en place. C’est ainsi que les choses se sont toujours déroulées : un ensemble de croyances, de points de vue et de structures est finalement dépassé et, par nécessité ou éveil des consciences, est remplacé, ou plutôt mis à jour, par une nouvelle perspective plus vaste. Ce nouveau paradigme définit alors le niveau de conscience dominant pour la nouvelle ère.
Lorsque qu’ils regarderont en arrière, les historiens du futur verront sans doute le paradigme « cartésien-newtonien » comme une relique ayant certes apporté une expansion industrielle rapide et des connaissances scientifiques pointues, mais n’ayant pas réussi à apporter de réels progrès à la quête du Bonheur des êtres humains et à contribuer à une Paix véritable à l’échelle globale.
En termes anthropologiques, ce n’était finalement qu’un clin d’œil. Et dans ce clin d’œil, l’humanité s’est retrouvée au bord de l’effondrement...
Planète vivante... planète à vendre ? Une des conséquences logiques de cette vision matérialiste réductrice est le consumérisme à outrance. L’individu, objet- consommateur parmi les objets de consommation, adhère ainsi au système et à son idéologie désenchantée. Mais sur une planète où désormais tout s’achète et se vend, l’acquisition facile des objets et des services est devenue pour nombre d’humains une tentative de dissimulation de l’anxiété qui les ronge ou simplement un moyen de travestir leur ennui. Pour la grande majorité d’entre nous, le consumérisme n’est finalement rien de plus que l’expression d’une lassitude sournoise, d’une tentative malhabile de masquer notre profond désespoir, notre angoisse et la perte de sens. Nous sommes tous touchés par ce conditionnement puissant généré par un Système qui semble fonctionner en roue libre. Nos paysages psychologiques intérieurs sont infectés par cette triste contagion. Face à ces forces qui, intentionnellement ou non, maintiennent l’illusion de la séparation, que pouvons-nous faire ? Que pouvons-nous faire pour sortir de cette emprise, de ce sortilège de désenchantement ?
La prise de conscience représente certainement une étape cruciale pour sortir de l’ornière. En ces temps de grande Transition, chaque être humain est invité à s’extraire du Système dominant de la pensée unique mortifère, à guérir de cette pandémie artificielle de désenchantement organisé.
Le désenchantement n’est pas Réel Passée la prise de conscience et ses inconforts potentiels, il est important de comprendre que le voile de séparation et de désenchantement qui recouvre le monde n’est pas Réel. C’est la « Mãyã » des religions indiennes (voir encadré). A l’image des nuages qui semblent recouvrir le Soleil, un voile d’ignorance, de séparation, s’est surimposé à l’Unité de la Vie. Le Soleil, Lui, est toujours là. Aucun voile, conditionnement ou croyance n’a de réel pouvoir sur Lui. Il n’y a donc pas d’importants efforts à accomplir en vue de recréer un enchantement qui aurait été perdu. Le seul effort, si on peut parler d’effort, consiste à réaliser la nature illusoire du voile de désenchantement. Il suffit de choisir de voir le Réel ou, pour utiliser la métaphore du film « The Matrix », de choisir la pilule rouge !
« La beauté qui sauvera le monde, c'est la générosité, le partage, la compassion, toutes ces valeurs qui amènent à une énergie fabuleuse qui est celle de l'Amour. »
[Pierre Rabhi*]
Une fondation pour l’Enchantement Ayant choisi de voir au-delà de la dualité apparente du monde, une reconnexion croissante peut se mettre en place. Car le conditionnement est puissant. Depuis la révolution industrielle au milieu des années 1700, des générations d’hommes et de femmes ont été de plus en plus déconnecté du monde vivant, déraciné de la terre et coupé des mondes spirituels.
Cette déconnexion nous a amené à dévaloriser tous les règnes du vivant, y compris les autres êtres humains. La pensée matérialiste du « Kali Yuga » s’est immiscée dans les esprits et a voilé le regard innocent de la grande majorité des enfants de la Terre que nous sommes toutes et tous.
Il est donc important de recréer une fondation solide pour cette reconnexion au Vivant et cela commence par la reconnaissance de la valeur inhérente de chaque être humain, de chaque créature, de chaque éco-système, ... Il s’agit de comprendre que l’ensemble du Vivant fait partie d’un continuum interconnecté et interdépendant. Une trame de Vie unifiée dont l’humanité n’est qu’une expression parmi les autres.
Mãyã, l'illusion de la dualité
Mãyã est un terme sanskrit qui a plusieurs sens dans les religions indiennes. Mãyã est l'illusion, à l’échelle cosmique, d'un monde physique que notre conscience limitée considère comme la réalité ; une illusion de dualité (au sein de l’Unité) exprimée sous forme d’un Univers phénoménal. Pour les mystiques indiens, cette manifestation n’est pas la Réalité fondamentale. Le but de l'éveil spirituel est de le comprendre, plus précisément de faire l'expérience de la fausse dichotomie, du mirage de la Mãyã afin de la transcender, de déchirer son voile et réaliser que nous sommes le Soi, Pure Conscience au sein de laquelle émerge le monde phénoménal.
Être disponible Dans ce processus de réenchantement et de reconnexion à l’essentiel, il peut être important de se donner le temps de sortir de la routine, de s’arrêter et même de s’immerger dans la Nature. Pour nombre d’entre nous, la Nature peut en effet nous apporter une source inépuisable d’enchantement. Il suffit de prêter attention, d’être disponible au miracle du Vivant.
Offrons-nous l’immense cadeau de nous arrêter. Osons expérimenter un STOP salutaire à notre routine. Finie la procrastination ! Allons marcher à l’aube et observons le ciel passer progressivement de l’obscurité à la lumière ; saluons le Soleil et la Lune à la même heure chaque jour et remarquons leurs progressifs changements de position au fil des saisons ; réjouissons-nous auprès des oiseaux, des écureuils et de la faune locale ; serrons un arbre dans nos bras, goûtons à sa verticalité et à son puissant enracinement ; creusons la terre de nos mains, humons l’humus et plan- tons des végétaux, ... Ne nous contentons pas de regarder la Nature, mais expérimentons-la avec tous nos sens, tout notre Être.
Et si l’élan du cœur nous y invite, commençons une pratique rituelle et/ou dévotionnelle. Allumons des bougies pour célébrer l’instant, célébrer la Vie, pour nos ancêtres, pour un proche en détresse. Au cours de nos ballades ou dans notre jardin, laissons de petites offrandes à la faune ou aux esprits de la Nature, créons de petits totems et autres spirales de pierres pour re-sacraliser les espaces... Méditons. Bénissons. Prions. Chantons et ré-enchantons !
Rayonner l’Enchantement Comme nous créons notre propre réalité, puisque nous ne projetons à l’extérieur que ce qui vit en nous, une fois le sortilège de la séparation dévoilé, percevoir le monde comme le lieu enchanté qu’il a toujours été est finalement assez simple. En plus, l’émerveillement est auto-nourrissant et très contagieux. Nous serons surpris de constater à quel point notre nouvelle façon de voir le monde grandira en nous et rayonnera autour de nous. Il n’y a rien à faire de spécial pour cela. Cela se fait naturellement. C’est vibratoire. Plus notre reconnexion à l’Enchante- ment premier se déploie en nous, plus nous le percevons à l’extérieur et plus notre fréquence vibratoire augmente. Et plus notre fréquence vibratoire augmente, plus notre entourage et notre environnement en bénéficie (animaux, végétaux et minéraux inclus !).
Et rien ne nous empêche d’inviter nos proches lors de nos promenades-découvertes en Nature ou pour participer à nos rituels et autres cercles méditatifs, car le partage de ces énergies est toujours exponentiel, créant des cercles concentriques de fréquences réenchanteresses qui rayonneront librement dans le monde !
* Paysan, écrivain et penseur français d’origine algérienne, Pierre Rabhi [1938-2021] est l’un des pionniers de l’agriculture écologique. Il appelle à « l’insurrection des consciences » pour fédérer ce que l’humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrances et de destruction. Pierre a également été à l’origine de nombreuses structures, nées de sa propre initiative ou de ses idées : ainsi l’association « Terre & Humanisme », le « Mouvement des « Oasis en Tous Lieux » et le « Mouvement Colibris » en sont quelques exemples. Nous avons voulu lui rendre hommage en publiant quelques-unes de ses citations-clefs.
RÉFÉRENCES :
« Comment réenchanter le monde. La décroissance et le sacré » de Serge Latouche aux Éditions Rivages
« L'écospiritualité - Réenchanter notre relation à la nature » de Michel Maxime Egger aux Éditions Jouvence
« La voie du paganisme » de John Beckett aux Editions Danae
« La tristesse de Gaïa - De l'effondrement à l'émerveillement » de Pierre Rabhi chez Actes Sud
Article de Dennis Kingsley
Wikipedia
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