Depuis plus d’un mois de confinement, nous voilà comme jamais (effectivement, « jamais » !) confronté.e.s à nos façons de relationner. Comment nous comportons-nous avec nous-mêmes et avec notre entourage ? Quelles tensions apparaissent et pourquoi ? Comment mieux se comprendre mutuellement au sein d’un huis-clos imposé ?
Pour la relation à soi et aux autres, la Communication NonViolente® (CNV) nous confronte à nos tendances habituelles d’interaction afin de retrouver un mode de vivre bienveillant naturel. Car notre éducation nous en éloigne, d’après une culture privilégiant les valeurs de compétition et de calcul à celles de la coopération et du carpe diem, scindant le corps et l’esprit (le cœur et la raison), jugeant enfin de ce qui est bien ou mal, de qui a tort ou raison. Binaire (et manichéen), ce référentiel est éminemment pratique pour juger des comportements et situations, suivant des impératifs de rapidité et d’efficacité. Cela est bon et mérite récompense, cela mauvais et sera puni.
Voilà la première violence que l’expression CNV désigne : l’âpreté d’un référentiel externe que nous avons pris l’habitude de mobiliser comme s’il nous était naturel, pour juger en une seconde des comportements et situations que nous traversons. Mais si ce fonctionnement automatique est éminemment efficace pour répondre aux impératifs sociaux de rapidité, il n’est pas le meilleur moyen d’instaurer une relation harmonieuse à soi et aux autres.
I. Stopper et (s’)observer
C’est pourquoi il est urgent de ralentir ! Stopper, prendre le temps d’observer ce qui se passe, nos attitudes et celles de notre entourage. Une pratique de méditation laïque de pleine conscience est à ce titre tout-à-fait complémentaire pour s’exercer à l’accueil et l’acceptation.
D’abord, si la configuration du confinement est pénible, autant l’admettre collectivement. Non seulement on se sentira uni.e.s autour d’un sentiment commun d’inconfort et, en plus, on évitera tabou et non-dits qui ont pour effet de dramatiser des choses parfois très simples. Combien de disputes naissent de nos projections sur les pensées de l’autre ? « Il doit penser ça de moi. » « Je sens que ça ne lui a pas plus. » Sans parler de la culpabilité, ce jugement de soi tout-à-fait sophistiqué qui donne l’apparence d’un sentiment intime à une pure moralisation ; l’esprit humain est infiniment ingénieux !
Dès lors, pour éviter les pièges de notre mental et des histoires qu’il nous raconte, le maître- mot est l’observation. Faisons du confinement un jeu de spectateur : qu’est-ce qu’une caméra enregistrerait de cette situation ? Certainement pas qu’« il ne respecte rien » ou que « je suis nulle » ! Confondre observation et jugements est une tendance très humaine et toute culturelle tandis que l’objectif de l’appareil montre des faits concrets. Quelle action a été posée, quel mot a été prononcé ?
Le but est d’objectiver les actions ou les paroles pour les dissocier de la personne ; comprendre que ce sont des stimulus qui activent chez moi des sentiments. C’est cela qu’il s’agit de « capter » pour atteindre le cœur de la relation à soi et à autrui.
II. Au cœur de la relation, les besoins
Les sentiments sont les lanceurs d’alerte de nos besoins, qu’il s’agisse de fonctions vitales (alimentation, évacuation, respiration...) ou d’aspirations profondes et de valeurs (amour, expression, ressourcement...). Les identifier permet de se recentrer sur « soi-m’aime » pour trouver comment les nourrir, et de se relier à l’autre en comprenant que ses actions, même fort déplaisantes pour nous, sont des stratégies pour atteindre quelque chose de précieux. Le problème du confinement c’est que le panel des stratégies est rétrécit. Les besoins de mouvement, de défoulement, de récréation ou encore de ressourcement et d’intimité doivent trouver le moyen d’être assouvi dans des conditions limitées. Espace restreint, solitude ou, au contraire compagnie nombreuse...Chacun essaie alors de trouver au mieux son équilibre,parfois maladroitement, parfois tragiquement. « La violence est l’expression tragique de besoins non satisfaits » disait Marshall Rosenberg. Aussi, dans cette configuration, apparaît-il nécessaire plus que jamais de faire retour sur l’essence de notre humanité : les besoins et aspirations qui nous animent. Quand j’estime qu’« il ne respecte rien », laquelle de ses actions est-ce que je pointe ? Quels sentiments a-t-il témoigné en la réalisant et que traduisent ces sentiments des besoins que sa façon d’agir cherchait à nourrir ? De même, quand je juge que « je suis nulle », à quoi est-ce que je me réfère concrètement ? Qu’est-ce que j’ai ressenti à ce moment-là et qu’est-ce que cela témoigne de ma nécessité sous-jacente ?
Connect before correct
S’il semble bien légitime de vouloir corriger un comportement qui provoque chez nous un quelconque désagrément, la CNV nous invite à considérer que la méthode la plus efficace pour ce faire est de se confronter à la relation d’abord. Quand une tension est physique, on peut prendre un remède pour se soulager. Mais quand la tension est relationnelle, la solution réside dans la qualité du lien créé. Le confinement, en nous imposant des relations (à soi, aux autres) auxquelles nous pouvions nous soustraire habituellement, aura ainsi été l’occasion de développer nos capacités d’écoute et de compréhension, afin de se réunir autour de valeurs communes.
Audrey Valin, Docteure en sociologie - Formatrice, conférencière et consultante en Communication NonViolente® audreyvalin@ymail.com • www.kanyon-consulting.fr RÉFÉRENCES : Marshall Rosenberg (1999), Les Mots sons des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Paris, La Découverte.
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